J’ai eu l’ambition de lire le roman de Pierre Lemaitre "Au revoir là-haut ". J’avoue que cette perspective m’effrayait un peu. J’imaginais, allez savoir pourquoi, que lire un "Goncourt" devait être difficile. Pensez donc ! Bernard Pivot en est le nouveau président, mais surtout voir ceux qui composent cette institution, cela a de quoi vous donner des frissons ! Didier Decoin, Paule Constant, Patrick Rambaud, Tahar Ben Jelloun , Régis Debray, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel, Pierre Assouline et Edmonde Charles-Roux.
Alors quand tout ce beau monde décide de décerner un Goncourt, cela laisse présager un ouvrage difficile d’accès. Un livre dont le risque est de faire machine arrière dès les 5 premières pages – parce que j’en aurais déjà perdu le fil – est grandissime ! Un livre que je sortirais malgré tout, fier comme Artaban , dans les transports en commun avec le bandeau rouge sur lequel est écrit en gros "Prix Goncourt" pour épater la galerie, comme un adolescent le ferait avec le Financial Times ou le Monde !
Parlons-en de ce bandeau qui entoure ce livre posé sur ma table basse… Il finit par m’obséder. Suis-je capable de lire un Goncourt ? Vais-je en comprendre le sens ? Et tous les mots savants qui s’y rattacheront ? Ne vont- ils pas me donner mal à la tête ? Aurais-je besoin de mon dictionnaire pour les décrypter ? C’est vrai que cela fait peur un Goncourt. Qui plus est, écrit par un spécialiste de romans policiers. Si son auteur a été récompensé, cela doit être de haut niveau ! Ce Goncourt me toise de sa belle robe blanche et rouge, cela respire l’odeur du sang, cela me donne l’impression que l’issue sera fatale, à force d’avoir eu l’ambition de continuer à tourner les pages. Je pars perdant, m’imaginant que je vais me laisser un ou deux chapitres, avant d’être sûr de crier grâce !
Et puis…Et puis je finis par me lancer. Je le prends en main, il est lourd…Il tient difficilement dans ma sacoche, il m’impressionne. Je décide quand même de l’apprivoiser et de le caresser dans le sens du poil, tel un dompteur pas encore sûr d’un nouveau fauve dans sa cage. Je décide quand même d’être bienveillant à son égard, de peur qu’il me saute à la gorge ! Et là…La magie opère…Dés ces fameuses premières pages que je redoutais, je me sens libérer d’un poids immense. Un souffle de satisfaction et d’excitation m’accompagnent à chaque ouverture du livre. Je prends du plaisir, je rentre dans cette histoire qui me captive. Les mots utilisés sont simples, les phrases courtes, rythmées sans prêter attention aux soubresauts du train de banlieue qui me transporte.
Je suis plongé dans ce roman où les hommes, Albert, Edouard, Marcel, Henry sont gris, parfois d’un noir épais, sinistres, comme cette boue grasse des tranchées de 14-18. Ici pas de manichéisme, tout le monde est dans la nuance. Madeleine, Pauline, Louise, personnages féminins bien ancrées dans leur époque, trouvent leurs places à des degrés divers. Les personnages sont parfois légers, émouvants, sensibles, salauds, pleutres, calculateurs, ambitieux, courageux…Je sens que la fin arrive, que les masques vont tomber. Ah ces masques, accessoires indispensables à cette histoire, comme celui de la tête de cheval, sorte de talisman protecteur et douloureux à la fois, qui ne quitte pas l’un des protagonistes. Je me surprends de ne plus entendre mes voisins de transport parler de tout, mais j’imagine surtout de rien au portable, tellement je suis absorbé par cette histoire qui se lit merveilleusement bien.
C’est tragique, c’est beau, c’est profondément humain. On en ressort meurtri, mais heureux d’avoir été transporté dans cette œuvre simple, sans prétention, mais ô combien magistrale. Maintenant je pourrais dire que j’ai lu un "Goncourt", que je l’ai franchi comme on le fait pour une ascension du Mont Blanc. Les esprits chagrins, diront peut-être que c’était facile, pas assez de dénivelé… mais qu’importe, cela restera pour longtemps gravé dans ma mémoire.
Merci Monsieur Lemaitre
Critères de Humanvibes notés sur 5 :
Sujet : 4/5
Histoire : 5/5
Personnages : 5/5
Difficulté : 1/5
Fin : 4/5
Marc / Humanvibes