Interview de Françoise Noyon : Fiat lux, et facta est lux

Interview de Françoise Noyon : Fiat lux, et facta est lux

 

                                                                                     Interview de Françoise Noyon : Fiat lux, et facta est lux

 

Interview de Françoise Noyon : Fiat lux, et facta est lux

Françoise Noyon

 

 

Bonjour Françoise Noyon, vous êtes chef opératrice, cadreuse, assistante opératrice, vous avez donc officié sur de nombreux téléfilms ou films  et vous faites également partie de la CST, Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son, et…

Oui j’en fais partie depuis longtemps, mais je fais cela de façon bénévole, je le précise…

Et vous avez raison de  le signaler…

…j’ai également des responsabilités au sein de la CST en tant que co-représentante du département image avec Thierry Beaumel qui est lui directeur technique des laboratoires Eclair. J’écris des articles techniques dans Mediakwest et j’enseigne aussi la prise de vues dans les écoles de cinéma, voilà.

Bien. Je vais donc revenir à votre métier de chef opératrice. Quand on exerce ce métier doit-on  garder toujours un œil sur la météo ?

Oui, bien évidemment !

Donc Evelyne Dhéliat n’a plus de secret pour vous !

Pas du tout, alors là je ne la regarde jamais ! Désolée…(rires) Non, je regarde les sites et les applis météos, mais il n’ y a pas que le chef-op qui s’intéresse à la météo, c’est toute l’équipe de la production qui la surveille. Mais le chef op garde un autre œil encore…celui de la position du soleil sur le décor aux différentes heures de la journée, ça c’est beaucoup plus important. 

Et donc il faut faire des calculs, je suppose qu’il y a des sites spécialisés ?

Oui, pour calculer la position du soleil  il existe des applis. Et puis en regardant la position du décor sur place, cela nous renseigne déjà beaucoup.

Alors n’est-il pas décevant pour un chef opérateur de voir tout le mérite que l’on attribue à un réalisateur ?

Ah !  c’est plus compliqué que ça ! Nous les chefs op sommes au service du réalisateur. Je définis notre fonction comme celle d’un maïeuticien au sens platonicien du terme. Je m’explique.

Maïeuticien ?

Oui. La maïeutique étant selon Platon l’art d’accoucher les esprits. D’ailleurs maïeuticien est le terme masculin de sage-femme. Donc le réalisateur a des idées d’images, mais il ne va pas toujours savoir les transcrire techniquement, c’est là qu’intervient le travail du chef opérateur qui va essayer de se mettre dans la tête de celui-ci, et l’aider à accoucher de son film. Ce n’est pas forcement frustrant. Les chefs opérateurs sont reconnus non pas du grand public mais de la profession, oui, que l’on appelle des stars, et qui sont vraiment des stars…

En revanche il y a une tendance qui est très française que l’on ne retrouve pas toujours  à l’étranger, qui vient de l’esprit français de percevoir le réalisateur-auteur  qui vient à en oublier sur la scène médiatique l’équipe du film. Ce que vous entendez beaucoup moins  d’un réalisateur étranger qui aura tendance à souligner tout le travail qui a été fait, et je ne parle pas que de celui du chef opérateur mais de toute l’équipe, tout le monde. Tous les gens qui composent l’équipe ; ce sont certes des techniciens, mais ce sont aussi des artistes sinon ils ne pourraient pas faire ce métier-là. Ils ont tous une idée de ce qu’est le cinéma, de ce qu’ils sont en train de faire, de ce que va être une image mais à tous les niveaux. Un réalisateur qui tire trop la couverture à lui sans mettre en avant l’équipe, c’est ennuyeux.  D’autant plus que je pourrais vous citer nombre de cas ou les films se sont fait malgré les réalisateurs…(rires) Ce sont les équipes qui ont fait les films, c’est très courant.

Ah ! d’accord !

(Rires)

Est-ce que l’on peut dire qu’il existe un style de chef opérateur, alors que par définition il se doit d’être aux ordres du réalisateur ?

Non ! Un chef opérateur normalement n’a pas de style. Il n’est pas aux ordres, c’est un collaborateur, attention, même s’il y a quand même une hiérarchie. Il va toujours s’adapter au réalisateur et au film ; si vous entendez d’un film que l’image est belle, cela veut dire qu’il est raté. Parce que le public n’a vu que l’image et non le contenu du film. En revanche une image qui se fait oublier, qui est belle et à la fois qui raconte le film, là on a tout gagné. Par contre il y a vraiment des couples réalisateurs-chef opérateurs. Steven Spielberg  et Janusz Kaminski, ils ne font jamais la même chose d’un film à l’autre. Un chef opérateur change de style en fonction du film, il sait tout faire.

Vous sentez vous orpheline des disparitions  des célèbres chefs opérateurs Haskell Weexler – Les moissons du Ciel, Vol au-dessus d’un nid de coucou – et de Vilmos Zgismond – Delivrance, Voyage au bout de l’enfer, BlowOut – ?

Oui et non. J’admire leur travail évidemment, mais il y en encore de très grands à l’heure actuelle…

Vous pourriez nous en citer 2 ou 3, français ou étrangers ?

Bien sûr. Il y a l’Anglais Roger Deakins qui a été anobli par la reine d’Angleterre qui a fait un travail remarquable sur l’avant-dernier James Bond "Skyfall", où pas une séquence n’est éclairée de la même façon ! Il y a également le franco iranien Darius Khondji qui a fait carrière aux Etats-Unis, je pense à Bruno Delbonnel qui était le chef opérateur sur "Le fabuleux destin d’Amélie Poulain" et qui à la suite de ça fait une grande carrière internationale. Tenez ce qui est curieux, c’est que tous les 2 se sont fait connaitre avec Jean-Pierre Jeunet, alors lui c’est vraiment un accoucheur de chef opérateur ! Celui dont pour le coup je me sens vraiment orpheline, c’est Dominique Chapuis pour lequel j’étais assistante et qui était un très grand Monsieur de l’image… Il y a des italiens, Luca Bigazzi qui travaille avec Paolo Sorrentino, ils forment un ensemble formidable. Vittorio Storaro sur le dernier Woody Allen a tourné en numérique et on a l’impression que c’est du 35mm !

Vous me coupez l’herbe sous le pied, parce que je voulais justement vous demander ce qui avait changé depuis l’avènement du numérique pour un chef opérateur ?

Beaucoup de choses ! Contrairement à ce que l’on pourrait croire le numérique n’est pas plus léger que la pellicule en terme de matériel, et en lourdeur de traitement. Pourquoi ? Il y a numérique et numérique. Bien sûr vous avez les petites caméras numériques, mais moi je vous parle de matériel de cinéma numérique, de caméras professionnelles et là c’est une autre histoire. Elles arrivent enfin à maturité. Toutes ces dernières années nous étions quand même frustrés des possibilités offertes par rapport au support chimique. Je pourrais vous abreuver de chiffres…(rires)

Non, non…

Bon, alors bien sûr il y a un peu la course à l’échalote tant sur la définition, sur la couleur, que sur la dynamique de l’image, c'est-à-dire l’écart qu’il peut y avoir entres les hautes et les basses lumières. Maintenant les technologies sont matures, et même si elles vont encore évoluer, on commence à retrouver un terrain de jeu plus vaste et plus riche où l’on est un peu moins limité, moins contraignant, ce qui ouvre de nouvelles possibilités et là ça devient doublement intéressant.

J’ai lu que les actrices se méfiaient du numérique parce que l’on voyait trop leurs imperfections…

Ah ! oui !  

Vous vous en êtes aperçue ?

Oui c’est clair. Le but à l’heure actuelle des opérateurs est de casser cette trop grande définition, et on a plein d’outils à notre disposition pour le faire à travers des objectifs, des filtres, des traitements de post-production, la lumière… On continue toujours à vouloir rendre les actrices belles.

Que pensez vous de la phrase de Quentin Tarantino à savoir que le numérique allait couler le cinéma traditionnel. 

Il a tort. Mais qu’est ce qu’il entend par cinéma traditionnel dans sa phrase ?

 Je suppose le cinéma avec pellicule ? D’ailleurs son dernier film " Les 8 salopards" a été tourné en 70mm.

Le numérique va couler la pellicule ? Oui la pellicule à la prise de vue va bientôt ne plus exister, oui c’est clair. Il le dit peut-être aussi avec une certaine nostalgie…

Et puis on revient au vinyle par rapport au CD, reviendra t’on à la pellicule en délaissant le numérique ?

On se sert encore de la pellicule pour l’archivage parce ce que c’est le meilleur support pour faire cela. C’est le plus sûr parce que l’on sait que cela peut durer 120 ans, il n’y a pas de problème de logiciel, ou d’outil de lecture que l’on pourrait ne pas retrouver car il est mécanique et on sait le fabriquer.

Pourtant on numérise beaucoup pour sauvegarder des données ou autres ?

Bien sûr, mais là je parle de la sauvegarde patrimoniale, et elle est sur pellicule. Le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée, ndlr) a déloqué des fonds pour aider les productions à archiver leurs longs métrages sur des copies de sauvegarde en pellicule.

Ah, je l’ignorais !

L’intérêt est que l’on a un master sur lequel on pourra faire si on le désire une restauration numérique des années plus tard. On sait que l’œuvre sera toujours visible, a contrario du numérique qui n’est pas aussi sûr que l’argentique. Et pour en revenir à Quentin Tarantino, je reviens sur  les progrès du matériel numérique qui va tellement vite, depuis qu’il a dit cela. Il ignorait les innovations qui ont été apportées depuis à ce support. Tenez, je suis certaine que si il découvrait la projection HDR (high dynamic range, ndlr) il dirait le contraire. La vraie révolution de l’image a lieu en ce moment avec ce procédé. Il y a déjà 3 salles à Paris qui en sont équipées et cela va s’étendre de plus en plus.

Toutes les caméras numériques sont en HDR, mais il existait un problème avec sa restitution. Et là on a enfin une chaine cohérente de la prise de vue à la projection en passant pas la post-production. Le HDR permet de retrouver une richesse d’image dans les contrastes et les couleurs absolument remarquable !

Alors est-ce que vous n’auriez pas envie de réaliser des films avec ce nouveau matériel ?

Moi réaliser ? Non, je ne suis pas réalisatrice.

Cela ne vous est jamais venu à l’esprit ?

Ce n’est pas ma vocation.

Oui mais, même pas une envie…

Non, moi ce qui m’intéresse, c’est de faire des images (rires). C’est de collaborer avec le réalisateur, de participer à raconter des histoires, de filmer les acteurs…Mettre en scène ? Non, je n’en ai pas envie.

Dernière question, le 20/09 dernier est passée la première émission de Laurent Ruquier sur le cinéma "Mardi cinéma", et entre autre était évoqué le film "L’Odyssée" de Jérôme Salle…

Je ne l’ai pas vu…

Etaient présents Lambert Wilson, Pierre Niney, et tout le monde s’est extasié sur les images sous-marines, celles tournées en Antarctique mais pas un mot sur le chef opérateur sauf à propos de son partage de la cabine avec l’acteur Pierre Niney durant le tournage ! J’ai trouvé hallucinant que le travail photo de Matias Boucard ne soit pas mis en avant, et cela rejoint ce que vous avez dit tout à l’heure.

Oui…Et sachez que parfois un acteur peut-être prescripteur dans le choix d’un chef opérateur…

C'est-à-dire qu’il va donner son avis, et être décisionnaire ?

 Ah oui ! Il peut demander à travailler avec une personne en particulier. Ce sont des choses qui ne sont pas connues du grand public, mais qui se savent dans le métier. Et les acteurs et les techniciens peuvent entretenir des relations d’amitiés, et par conséquent il arrive aussi qu’il y ait des couples actrices-chefs opérateurs comme avec les réalisateurs.

Ok, mais dans le cas que j’évoquais pour "L’Odyssée" il ne m’a pas semblé qu’il y ait une connivence entre eux, par contre je n’ai pas vu le film…

Je vais vous dire une chose. Les laboratoires Eclair sont les seuls à faire à l’heure actuelle du HDR sur Paris. C’est le procédé Eclair Color. Ils ont fait des essais sur le film "L’Odyssée" mais la production n’a pas voulu appliquer le traitement dans ce format. J’ai vu les images en 2 versions. En SDR (standard dynamique range, ndlr) et en  HDR. Ces dernières sont à couper le souffle. !

Pourquoi ne l’ont il pas sorti également en HDR ?

Je l’ignore…

Françoise Noyon, merci.

Merci à vous.

 

Propos recueillis à l’hôtel Hilton Paris-Opéra le 22/11/16

 

Dédicace de Françoise Noyon

 

 

Et pour aller plus loin :

 

Quentin Tarantino et le 70 mm

Quentin Tarantino(2015) – Youtube

 

Master Class de Jean pierre Jeunet

Jean-Pierre Jeunet(2014) – Youtube

 

Making of vidéo clip "Commando" de Vanessa Paradis avec le chef op Darius Khondji

Commando(2000) – Youtube

 

Articles de Françoise Noyon sur mediakwest

http://www.mediakwest.com/auteur.html?alias=Fran%C3%A7oise%20Noyon

Françoise Noyon sur IMDB

http://www.imdb.com/name/nm0637562/

 

Marc/ Humanvibes

 

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