Interview du Commandant Christophe Dubois : L'étoffe d'un pro

MB(2017) – Commandant Christophe Dubois – Leader de la Patrouille de France –

Il est extrèmement rare d'assister au briefing des pilotes, j'ai eu cette chance, assis près du leader avec mon enregistreur. Je vous invite à en écouter un extrait audio qui a eu lieu avant le vol de reconnaissance sur les Mureaux (vol qui sera annulé finalement au dernier moment à cause de mauvaises conditions climatiques et reporté au lendemain matin).

  Extrait audio du briefing "la musique" de la Patrouille de France menée par le Commandant Christophe Dubois.

MB(2017) – montage Marylou – Humanvibes – Youtube –

Commandant Christophe Dubois bonjour, vous êtes le leader de la Patrouille de France (PAF), en quoi consiste votre rôle lors des meetings ?

Nous sommes neuf pilotes, et mon rôle consiste à emmener en vol les sept autres pilotes, pour faire voler huit avions. Je suis là en tant que leader pour les guider en démontrant le savoir faire de l’Armée de l’Air, et je suis responsable de ces pilotes. Dans la PAF, vous avez également les mécaniciens qui sont gérés par le Capitaine Rémer juste derrière nous. Au-dessus de nous deux, nous avons le Directeur des équipes de présentation le Lieutenant-colonel Dewas qui arrivera cet après-midi.

Et en dehors des vols, quel est votre rôle ?

Chacun dans l’équipe a une fonction, et le but est de manager toutes ces fonctions pour que  cela tourne parfaitement. Nous faisons de la programmation opérationnelle à court terme et à long terme, nous faisons de la Communication, nous participons à l’exploitation de la marque Patrouille de France  en tant que consultants, et je prends les décisions sur tous ces points.

Ticking Clock, Big Nine, Le Sheriff, Cygne, Deux Poutres, Canard sont des noms de figures aériennes parmi d’autres que vous exécutez. Est-ce qu’il est difficile de se renouveler tous les ans ?  Vous inspirez vous de ce qui se fait ailleurs ?

Oui, c’est très difficile ! La Patrouille de France a un peu plus de 60 ans, et les anciens ont tout inventé en exécutant des figures spectaculaires, parfois à leurs risques et périls et il existe un catalogue dans lequel on va les sélectionner et qui porte pour certaines les noms que vous avez cités. Maintenant, on peut créer de nouvelles figures mais il y en a déjà beaucoup et ce serait difficile d’en imaginer d’autres, et surtout il nous faudrait créer un guide de gestion du risque autour de cette nouvelle figure. C’est une étude à faire qui demande un gros travail et souvent nous n’avons pas la possibilité de le faire. Tous les ans, il y a 3 nouveaux pilotes qui entrent et autant qui partent et pendant 6 mois il faut les ré-entraîner, et en plus tout le monde change de poste donc nous n’avons pas le temps nécessaire pour nous focaliser sur autre chose. Il arrive quand même de créer des nouveautés, mais à ce moment là les figures sont très simples et très appréciées par le public – le plus simple est souvent le plus efficace –  et on réagence le catalogue avec la dynamique que va imposer le leader.

Ok, mais vous arrive t-il de vous inspirer de ce qui se fait ailleurs ?

Bien sûr, on regarde beaucoup ce que font les autres, on adore les Frecce (Italie,ndlr), les Red Arrows (Anglais,ndlr), avec des avions similaires qui font le même travail que nous. Mais eux aussi regardent ce que nous faisons. 

Aux Etats-Unis elle fait partie intégrante du show aérien, je veux parler… de la musique. Quelle place tient-elle dans vos programmes ? 

Un spectacle sans musique, c’est un spectacle sans saveur ! C’est le 9è pilote pendant la démo. Elle est là pour apporter l’émotion, elle est le point d’orgue de tout ce que l’on fait. Quand nous exécutons la figure du Cœur, on parle de tous les militaires engagés dans nos opérations extérieures en mettant de la musique qui correspond parfaitement, et l’éclatement final avec les fumigènes bleu, blanc, rouge se fait sur la Marseillaise. Nous sommes là aussi pour faire vivre cette fibre patriotique des Français…

Et il y a de la musique pendant toute la démonstration ? 

Tout le temps, oui. À chaque tableau, il y a une musique différente.

On pourrait donc entendre pourquoi pas pendant le meeting, la BO d’Amélie Poulain de Yann Tiersen , Kungs, Ennio Morricone  ou Petit Biscuit ?

Petit Biscuit je ne connais pas, mais Amélie Poulain on l’a déjà fait, Kungs, c’était en Allemagne l’année dernière.

Vous avez côtoyé récemment  lors de votre tournée aux Etats-Unis la patrouille des Blue Angels qui est celle de la Marine américaine, est-ce qu’il est vrai que les pilotes  évoluent sur des F-18 Hornet sans protections anti-G ?

Oui c’est vrai.

Alors comment font les pilotes ? Parce que vous, vous en avez…

Comment font-ils ? Dans l’absolu en tant que Français on se demande encore pourquoi ils n’ont pas ces combinaisons mis à part pour dire que c’est eux les plus forts ! (Rires.) Sérieusement, Ils ont une raison pratique qui est de positionner leurs bras par rapport à la jambe, et avec le pantalon anti-G  cela ferait bouger le bras, donc le manche et l’avion…C’est ce qu’ils nous ont expliqué. Après le corps humain est très bien fait. Voyez le Capitaine Martinez qui est sur Rafale, il encaisse 10 à 11 G. Quand on monte derrière lui, même en tant que pilote expérimenté, c’est très compliqué pour nous, mais on le supporte. C’est juste la preuve que le corps s’habitue très vite avec ou sans combinaisons anti-G. Eux, sans, ils y arrivent. Mais ce n’est pas quelque chose qui serait autorisé en France, c’est sûr et certain. 

J’ai regardé avec beaucoup d’attention le DVD officiel de la PAF qui date de 2013, et je cite le Capitaine Philippe Castagnet qui volait sur Athos 8 en tant que second solo : "Il va falloir qu’on habitue notre cerveau à agir à la voix d’un leader, sans avoir détecté aucun mouvement d’un avion et ça c’est vraiment antinaturel au possible".

Exactement.

Pourquoi est-il si difficile de mettre de côté tous les réflexes acquis en tant que pilote de chasse ?

À la Patrouille de France, on passe d’un pilotage à l’œil à un pilotage à l’oreille. Lorsque nous étions en escadron de chasse, nous avions l’habitude de voler en formation serrée à côté d’un autre avion et quand celui-ci partait en virage, en montée ou en descente, on corrigeait notre position parce qu’on le voyait, et le leader ne disait rien.  Ici, on ne peut pas le faire parce que les avions risqueraient d’être pliés les uns par rapport aux autres puisque nous sommes 8. Nous voulons  évoluer à 8 unités comme si on évoluait qu’avec un seul avion. Donc ce qu’ont inventé les anciens, c’est de piloter à l’oreille. Cela veut dire que le leader va donner un ordre préparatoire, et un ordre exécutoire. Quand on veut tourner à gauche, le leader va annoncer virage à gauche, toute l’aile droite va monter, j’incline, et là tout le monde va incliner. De loin, vous ne verrez qu’un seul avion qui tourne. Comme l’a dit le Capitaine Castagnet, on réagit sur quelque chose que l’on ne voit pas, et on peut presque le faire en fermant les yeux.

Et combien de temps pour assimiler les bons reflexes ?

Il faut 6 mois pour les acquérir.

En 2009 Virginie Guyot était leader de la PAF, un coup d’accélérateur pour  la parité homme-femme pourrait-elle s’instaurer au sein de l’escadron quand bien même la maternité, les sacrifices familiaux pourraient être un frein ?

Alors ce n’est pas « quand bien même ». C’est le point majeur ! L’armée de l’Air est l’armée la plus féminisée. Il y a une trentaine de pilotes chasse et de navigateurs féminins, donc ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de femmes et qu’elles ne veulent pas postuler. La question c’est : quand on rentre à la Patrouille de France, on est en fin de carrière de pilote de chasse entre guillemets, on a bossé pendant 15 ans comme jamais pour arriver Chef de Patrouille, pour être qualifié sur son avion pour emmener ses coéquipiers en mission de guerre. À partir de ce moment là on peut postuler, mais on sait quand on rentre à la  Patrouille de France, mais on ne sait pas quand on en sort.  Donc si j’ai eu des enfants avant comme Virginie Guyot, je peux postuler. Sinon je me pose de sacrées questions, c’est normal…C’est pour cela que l’on a eu qu’une femme à la Patrouille de France.  

Quelles activités sportives pratiquez-vous quotidiennement ?       

Alors durant l’entraînement hivernal, on fait du sport le matin avant de commencer les vols, c’est du réveil musculaire, un peu de CrossFit très léger de manière à bien se muscler le dos, cela dure 25 minutes avec un prof de sport. Après on attaque les vols, 2 par jour, ensuite en fonction de la qualité du vol de l’après midi on fait du sport pour se défouler, comme du foot en salle, du waterpolo, du tennis.

Et rien du côté mental ?

Côté mental ? Nous sommes des militaires avant tout, donc nous avons été depuis le plus jeune âge éduquer aux Techniques d’Optimisation du Potentiel (TOP) qui sont une sorte de sophrologie mais au goût militaire. Chacun à ses outils, et quand on en a besoin nous faisons des séances de groupe, on fait la TOP, de la dynamisation, et de la projection mentale de la réussite.  

Comme entrainement, avez-vous essayé avec votre équipe le cerf volant acrobatique en escadrille ?

Non, mais pourquoi pas !

Ma dernière question, quelle sera d’après vous  la PAF du futur ?

Pour l’instant c’est la grande question…L’Alphajet est là jusqu’en 2030,  et d’ici là avec l’avènement de l’intelligence artificielle il peut se passer plein de choses. Ce qui menace aujourd’hui la Patrouille de France, ce n’est pas son avion, ce n’est pas ses finances, c’est la pérennité des meetings aériens pour faire plaisir aux gens. Elle existe aussi grâce à ceux qui organisent ces manifestations, mais ils sont confrontés à un énorme problème avec la sécurisation des sites. Quand on fait venir la Patrouille de France, ce n’est pas ce qui coûte le plus cher. Il faut bien sûr prendre en compte l’affluence du public, et plus il y a de monde, plus c’est onéreux. Il faut faire des fans zone etc. Nous côtoyons régulièrement les organisateurs et ce n’est pas facile pour eux. Il y a des meetings qui ont été annulés pour ces raisons, Marseille, Toulon c’est très difficile mais ils y arrivent quand même. 

Surtout avec ce qui se passe en ce moment autour de nous !

Oui, à cause de ça, on verra comment cela va se passer dans les années futures…

Commandant Dubois, merci beaucoup.

Merci à vous.

Dédicace du Commandant Christophe Dubois – Athos 1 –

Propos recueillis à la base 105 d’Evreux le 08/09/17

Remerciements à toute la Patrouille de France, au Lieutenant Antonia Buroni et au Lieutenant Arnaud de Frémont du service Relations Publiques, et à Gilles Scheffer responsable de la cellule Communication de la base 105 d'Evreux. Ce fut une superbe journée exceptionnelle, parfaitement orgnisée, et bien sympathique.

Et pour aller plus loin :

Préparation au décollage de la Patrouille de France – Base 105 d'Evreux – 08/09/2017 (vol qui ne se fera pas au dernier moment à cause des conditions climatiques)

MB(2017) – Humanvibes – Youtube –

Envoyé Spécial du 21/11/17 sur les Techniques d'Optimatisations des Potentiels avec les méthodes de" Ice Man", du 19è régiment du Génie de Fréjus, et… du  judoka Teddy Riner.

Global Sport Concept – Envoyé Spécial(2017) – Youtube –

"Afin de célébrer le centenaire de l'entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale, la Patrouille de France a été invitée pour une tournée américaine exceptionnelle. De New York à San Francisco, du Groenland à Las Vegas, de la Floride au Grand Canyon, l'unité de 72 militaires enchaîne les survols des sites mythiques, les rencontres avec le public américain, les fans français et les échanges avec les patrouilles acrobatiques de l'US Air Force, les Thunderbirds, et de la Navy, les Blue Angels." *

* Texte repris de C8TV

C8(2017) – PAF – Youtube –

Marc / Humanvibes