Une journée à handicap (1/2)
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Je m’appelle Simon. Prononcez Symon à l’anglaise à cause du fait que mon père est un fan de l’acteur britannique Simon Pegg. Je suis stagiaire journaliste à la célèbre revue "CULTURUS" qui est un magazine sur l’actualité dans l’air du temps en général. Si je suis là, ce n'est pas par piston, mais plus pour mes qualités qui ont dû faire la différence ainsi qu'une dose d'audace…. Aujourd’hui, c'est mon premier jour. Nous travaillons sur le futur numéro, trois semaines avant sa sortie. Mon bureau se trouve à côté de celui du rédac chef, comme on dit. La soixantaine triomphante, une réussite dans les médias reconnue, certains le compare d'ailleurs à Donald Trump, toujours bronzé, les bretelles portées toute la semaine y compris le week-end m’a-t-on rapporté, il règne sur tout son petit monde en ne s’interdisant aucune plaisanterie grivoise ou gestes déplacés envers qui que ce soit, y compris la gente féminine… Je n'entendais pas la conversation, mais il s’agitait beaucoup avec Jérôme, son secrétaire de rédaction…
Rédac chef – Bon, alors qu’est- ce qu’il nous reste ? fit-il en allongeant ses jambes sur son bureau, sa position favorite.
Jérôme – Pfff Pfff ! fit son secrétaire en tirant sur son cigare, sans se soucier de l'interdiction de fumer, assis confortablement dans son fauteuil en cuir. Bah, je crois que c’est bon…Ah si ! Je pensais qu’avant la venue du nouveau premier Ministre dans nos locaux dans trois mois, il serait bien pour lui faire plaisir de faire une interview de personnes handicapées. Je sais ce n'est pas glamour, mais si ça peut nous apporter une subvention supplémentaire, on ne va pas s’en priver !
RC – Ah ! Tu penses que ça pourrait lui donner l’envie de mettre la main au portefeuille ? Et c’est toujours porteur le thème du handicap ? J‘y crois pas du tout…
J – Oui….Enfin….Pourquoi pas ? …En fait sa mère est handicapée suite à un accident de la route il y quatre ans, alors j’me disais…pour lui faire plaisir tu vois ? Mais je suis d’accord avec toi, peu de gens vont s’y intéresser…et moi le handicap ce n’est pas ma tasse de thé. Mais… on pourrait peut-être appuyer sur une corde sensible, non ? fit-il en exhalant son cigare dans une odeur de foin.
Le nuage de fumée bleue s’éleva en volutes légères vers le haut du plafond comme si elles hésitaient à choisir vers quelle destination finir leurs courtes apparitions dans l'air…
RC – Ouais…On peut se faire mousser à peu de frais…Mais tu vas mettre qui sur ce coup-là ? Je n’ai personne qui voudrait aller sur le terrain pour faire un papier sur le quotidien d'handicapés !
J – Bah…dit-il en se penchant vers son patron. Regarde discrètement en face, y’a le nouveau stagiaire qui est arrivé ce matin. On peut lui enrober ça dans du papier cadeau, il n’y verra que du feu ! Et il sera fier comme Artaban qu’on lui donne déjà une interview à faire…
RC – Mouais…Bonne idée, et il est bon ton gars ?
J – Pour ce qu’on va lui demander, à la limite on s’en tape ! Mais le peu que j’ai vu de lui à la cafeteria quand je lui ai parlé, il n’a pas l’air d'un manchot !! Ahhahhhh !!!
RC – Ahhh ahhhhh ! t’es marrant mon Jérôme !! Ok, va le brancher là-dessus !! Manchot ? Cela me rappelle le sketch des Inconnus quand Didier Bourdon tape sur le buzzer avec son front !! Ahhh ahhhh….
15 secondes plus tard…
J – Simon tu as une chance inouïe ! Je te mets d’emblée sur un reportage !
S – Euh Symon…la prononciation…mon père y tient.
J – Ok Simon !
S – Symon !
J – Ok Saumon ! Non mais allez j’déconne !! Bon, nous voulons à "CULTURUS" se positionner en market leader sur l’impulse buying de notre segment, tu vois. Tout cela, on le sait grâce à notre SWOT analysis du marché. Par conséquent avant de lancer une advertising campaign sur des roadside signs , et atteindre un daily reach au top, on voudrait faire des reportages qui nous évitent de faire du point of sale advertising , et ainsi faire en sorte que notre share of spending soit moindre que l’année précédente…Alors ?
S – ?!… Heu oui…
J – J’en étais sûr ! Merci d’accepter sans te poser de questions ! T’es au top mon gars ! Au fait ? Si je te dis amputé, incurable, estropié, inadapté, infirme, mutilé, ça te parle ?
S – Vous voulez que je fasse un reportage sur l’hôtel national des Invalides ?
Je me retrouvais finalement dans le bus avec un enregistreur, un carnet, et un stylo en direction de la Maison Départementale des Personnes Handicapées de Paris dans le 9ème arrondissement, la MDPH comme on dit. Moi qui croyais que j’allais faire un truc de dingue sur un monument digne d’un numéro du magazine Géo, j’ai eu tout faux ! Jérôme a même ajouté que c’était la même chose vu que j’allais voir aussi des monuments un peu délabrés ! Je ne trouve pas que les Invalides en soit à ce point-là quand même, quant aux deux roues, comme il l’a souligné en s’esclaffant, il m’a dit de faire attention à bien regarder à droite ou à gauche en traversant les couloirs, ça peut aller vite les chaises roulantes ! Sauf qu’en moi-même je pensais qu’il pouvait y avoir aussi des personnes qui n’étaient pas forcément dans des fauteuils, mais mal entendants ou mal voyants, ou en situation d’handicap invisible comme la sclérose en plaques, ou Alzheimer par exemple, et j’en passe …
Curieusement, il y avait beaucoup de monde ce jour-là, en tout cas bien plus que ce que Jérôme m’avait laissé entendre. J’arrivais à me faufiler tant bien que mal dans la petite salle, et je jetais mon dévolu sur un homme dans une chaise roulante qui venait de quitter une jeune femme avec une canne blanche. Il portait un badge avec son prénom accroché à son survêtement.
S – Bonjour Michel ! Je peux vous déranger une minute ?
Michel – On s' connait ?
J – Non…Mais je suis journaliste…en fait plutôt stagiaire journaliste au magazine "CULTURUS"…Voici ma carte. Je cherche à faire…
Je lui tendis côté droit, mais je restais comme un imbécile attendant qu’il me la prenne. Rien ne se passa…
J – Oups !! Veuillez m’excuser ! Je…Je n’avais pas fait attention à ce que… bref… Vous voyez ce que je veux dire…pardon…
M – Mais tout va bien…Donnez-moi votre carte ? Simon c’est ça ?
Je lui tendis à sa gauche. Il mit du temps pour déplier son bras.
S – Oui…enfin pas tout à fait…non, pas Simon… enfin si c’est ça… Simon !
M – Bah oui, je sais encore lire !
Il l’a pris de sa main gauche et la rangea dans une sacoche accrochée à son fauteuil.
M – "CULTURUS", ça ne me dit rien tout de suite. Vous avez un site Internet ? ….
Je restais scotché très mal à l'aise. C’était la première fois que j’étais confronté au handicap de si près. J’avais beau m’y être préparé dans ma tête durant le trajet, ce n’était pas la même chose que de le voir en vrai. J’étais troublé, et triste en même temps….
M – Simon ? Ouh ouh ! Vous êtes là ?
S – Ah oui pardon…pardon. Oui…Nous avons un site enterrement bien sûr ! Heu…Internet je veux dire ! Excusez-moi !! Croix W… Pardon ! Trois w.culturus.com, désolé !
M – Arrêtez de vous excuser tout le temps ! C’est pénible à la fin ! Bon. Vous voulez quoi au juste ?
S – Je voudrais faire une interview d’un…d’une personne comme vous…qui a un problème…qui est…
M – Handicapé ! En fauteuil roulant !
S – Oui c’est ça, handicapé !
M – Et bien voilà ! Vous voyez que vous pouvez prononcer le mot han-di-ca-pé.
S – Oui…C’est-à-dire que je n’ai pas de connaissance de personnes handicapées autour de moi, et donc je ne suis pas…
M – Habitué ! Bah tu vois moi, excuse-moi je te tutoie… moi l’habitude c’est mon quotidien ! C’est comme la chanson de Claude François "Comme d’habitude". Tiens, écoute…
"Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existées ne saurait être que fortuite."
Lien vers la deuxième partie
http://www.humanvibes.com/content/une-journee-a-handicap2-2?ck=le-bien-etre-en-entreprise
http://www.semaine-emploi-handicap.com/
Marc / Humanvibes