– Le mouton de la place des Vosges – – Catherine Siguret – photo Ilan Sabban –
Une fois les rafraichissements, olives et cacahuètes posés par le serveur, il est temps de faire connaissance et de passer aux choses sérieuses.
Comme en plus j’ai la chance d’interviewer pour la première fois un écrivain, il est normal de commencer par "Comment devient-on écrivain ?"Je voulais devenir vétérinaire ou écrivain commence par dire la romancière. Soit, mais encore. "On m’a dit qu’il fallait faire beaucoup de mathématiques pour devenir vétérinaire, et comme je n’en n’avais pas tellement le goût, j’ai préféré être écrivain". Mais à quel âge ? C’est marrant, parce que j’ai retrouvé le journal intime de mes 12 ans, et j'y écrivais que mon rêve était d’écrire des livres. D’une façon générale, on peut dire que j’ai essayé de réaliser tous mes rêves."
Du rêve à la liberté dont il est question dans le roman "Le mouton de la place des Vosges", il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement en faisant référence à la phrase de Coluche qui disait : la liberté est un mot qui a fait le tour du monde, et qui n’en n’est jamais revenu. Qu’en pense-t-elle ? "Je ne sais pas, je ne comprends pas ce que cela veut dire…" Aie, aie, aie. Mauvaise pioche. Je développe. La révolution française, la liberté, etc. Ouf, je m’en sors je crois. "Est-ce que la liberté est partie de la France ? Je ne sais pas. Je trouve que cette notion est partie des Grecs, vous voyez ? La liberté est liée à l’homme, à l’animal. Je pense que nous sommes tous allergiques aux attaches, aux contraintes, aux barreaux (à part les avocats), et je pense que c’est inné. L'instinct de liberté est plus fort que la force de la contrainte, et s’il existe encore beaucoup de pays qui vivent sous le joug, c’est en relation avec la culture : c’est le contraire de la nature, qui par définition nous exhorte à la liberté. Cela ferait un excellent sujet pour le bac l’année prochaine…
Autre sujet abordé pendant les épreuves du Bac 2015 en section L, le passé. Qui dit passé dit enfance. Et l’on retrouve cette notion dans son roman. "Oui, complètement. C’est le sujet numéro 1 du livre par le biais du mouton. Le mouton est un symbole, un prétexte, et effectivement lorsque l’on est enfant, on ne comprend pas les contraintes, on ne comprend pas les règles. Il en faut un certain nombre pour vivre en société, mais il n’en faut pas tant que cela, les seules règles élémentaires sont de ne pas blesser autrui etc. Mais je crois que l’on perd beaucoup à être très éduqué, nous nous interdisons des trucs tous seuls. La fille qui décide d’adopter ce mouton en pleine ville marque sa volonté d’aller au bout de son rêve, contre le qu'en dira-t-on, et ce n’est pas plus stupide que bien des actes inconsidérés, qui importunent les voisins ou vont contre les convenances. Là, je mettrais volontiers 18/20 pour cette réponse si j’avais été examinateur.
En fait dans le roman, nous retrouvons déjà l’accomplissement d’un rêve de l’héroïne enfant. "Le seul passage plus ou moins autobiographique est le flash back dans l'enfance, le reste ne l’est pas, je suis une voisine beaucoup plus calme que l’héroïne (!) : Quand j’étais petite, j’ai réellement eu un mouton. Qui s’appelait, je vous le donne en mille ? "Bambi. C'est vrai, j’ai adoré ce mouton. C’est cette nostalgie de mon mouton qui m'a poussée à écrire cette épopée d'une adulte adoptant un mouton, qui va vivre des aventures à la Pierre Richard. Elle est complètement affranchie de tous les codes…Trop !"
On nous incite à être propriétaire de son habitation principale, mais pourquoi en vouloir dans le roman aux copropriétaires ? Il a dû se passer quelque chose, forcément. "Pas du tout ! D’abord je ne suis pas propriétaire, et je n’ai pas de problème dans mon immeuble. Ouf, me voilà rassuré. Mais encore. "J’étais très angoissée au moment de louer un appartement récemment, parce que je me disais pourvu qu’ils ne tombent pas sur le roman qui donne quand même une fâcheuse image de la cohabitation, vu que la fille va se retrouver en procès pour garder son mouton." On peut le dire. "Mais, non pas du tout, je n’avais aucun compte à régler sur ce point, mais par définition avec les travers bourgeois et la propriété, bon je ne vais pas broder sur Rousseau …" Moi, je suis nul en broderie, mais j’aime bien Rousseau. "Je suis très fan de l’économie du partage et collaborative, qui est pour moi le début de l’ère Messianique qui devrait arriver, le loup paîtra avec l’agneau, vous savez cela." Ah oui… En fait non, je ne sais pas. Vite de retour au bercail, je pianote sur internet… Ah oui ! Je vois maintenant, et la panthère se couchera avec le chevreau etc.
Je me lance alors dans une comparaison osée, puisque je trouve une certaine parenté du roman avec le livre de Stéphane Hessel "Indignez-vous !". Le roman n’aurait-il pas pu s’appeler : Affectionnez-vous ! "Alors moi, je n’ai pas aimé le livre de Stéphane Hessel." Aie aie aie, deuxième mauvaise pioche! Il va falloir me calmer. "Je suis contre l’indignation systématique, et je dirais que le but de mon livre est que les gens se libèrent, qu’ils ne s’inventent pas des chaines, qu'ils célèbrent la joie de vivre, c'est un hymne à l’amour…" Je dis tout bas. De l’affection ? "Oui, voilà…" Tout n’est pas perdu ! "L’amour prime sur tout, l’amour fait tout pardonner, tout faire, et oui il y a des liens d’affection avec certains voisins dans le livre, je pense à la vieille dame, ou à Monsieur Jouffa, et ce que j’aime aussi est qu’au départ, des personnages pas très sympathiques qui peuvent mentir, tricher, voler, tromper leur femme, finissent au fil du livre par devenir touchants, je crois à la rédemption par l'amour !"
Je finis par faire allusion à la pièce de théâtre "Un amour qui ne finit pas" d’André Roussin avec Léa Drucker et Michel Fau, qui se joue en ce moment au théâtre de l’œuvre, car j’y vois une certaine analogie avec le roman du mouton. Le pitch ? Pour ne pas vivre une fois de plus la fin de ses amours, Jean imagine un amour idéal qui ne finit pas en s’éprenant d’une femme pour lui seul, sans qu'elle participe à cet amour. "Ah oui, c’est le cas avec mon personnage de l’Inconnu de la place des Vosges, exactement cela. L’héroïne nage dans un bonheur indécent avec un homme qui n’est pas du tout au courant. Alors évidemment, c’est un peu poussé à l’extrême, mais le vrai amour est de se satisfaire de l’existence de l’autre et de son bonheur, avant de savoir ce qu’il vous donne."
Faisons maintenant un retour sur le passé, et évoquons les années où Catherine Siguret a été ce qu’on appelle un nègre littéraire, où une de ses qualités était d’être un vrai caméléon en se fondant dans le corps de celle ou de celui dont elle écrivait l’histoire. Va-t-elle à la fin de l’entrevue prendre mes tics de langage, bref, être moi. "Mais c’est possible ! Enfin j’espère que je ne vais pas travailler dans le métier de la finance…ce qui est mon cas… ça pourrait être dangereux ! Diantre, un nouveau Bernard Madoff en jupon en face de moi ? "J’ai du mal avec les chiffres, et un sens de la tactique proche de zéro." Là nous sommes plus près d’un entraineur de football. "Oui, parce que dans la finance il faut avoir l’esprit un petit peu joueur. Non, mais je suis très joueuse, mais plutôt à saute-mouton vous voyez." Ouf, on a eu chaud, pas de crack boursier en vue donc.
Mais de la bourse à la politique il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement d’un pas souple et léger, puisque la romancière a exercé un mandat apolitique. "Oui, une grande carrière, mais à 18 ans. Est-ce que cette expérience lui a permis de toucher du doigt la difficulté d’être un homme ou une femme politique ? "Ah mais j’ai touché le fond vous voulez dire ! Ah, carrément ! C’était terrible, je me suis aperçue que pour planter un panneau, il fallait signer 350 formulaires, qu’il y avait des contraintes avec tel ou tel fournisseur, et il faut savoir qu’un panneau indicateur comme la limitation de la vitesse à 30km/h coûtait à l’époque pas loin de 3000€, je ne sais pas combien maintenant, mais depuis je rêve de fabriquer des panneaux de signalisation, c’est un beau métier ! C’est hallucinant, et devant la difficulté de changer les choses, compte tenu du fait que j’ai le sang chaud et un métabolisme rapide, c'était insupportable ! Je me disais…mais il ne se passe rien !" Qui dit sang chaud dit origine latine, non ? Parce que moi, mes racines viennent de Sicile. "J'ai des origines espagnoles, mais pas toutes proches, et je pense qu'en creusant bien, on devrait trouver plus au sud !"
Chères lectrices, chers lecteurs, je passe donc au moment que vous attendez tous impatiemment sur Humanvibes, à savoir la question posée par le précédent interviewé, en l’occurrence le comédien Olivier Sauton : Est-ce que vous préférez que votre texte soit lu à haute voix, ou avec une voix intérieure ? Et si quelqu’un jouait votre roman, quels en seraient les acteurs ? "Alors, lu à haute voix, je trouve ça magique. Les gens ne lisent pas comme vous, mais justement, c’est très intéressant. Dans le rôle de mon héroïne…je ne voudrais pas rater mon casting…" En attendant j’en profite pour prendre une olive. "J’y avais pensé en plus… Cela pourrait être…Hmmmm…Mathilde Seigner…" Oui un peu…Un peu quoi d’ailleurs…" Mathilde Seigner… Oui, elle peut à la fois se la jouer très snob, complètement déjantée et elle est très libre. Et pour l’Inconnu de la place des Vosges qui est un personnage intéressant dont je suis très amoureuse moi-même…Heu…" Moi, j’ai une idée, mais allez-y. "Dites moi ?" Je dirais Jacques Gamblin. Jacques, si tu nous écoutes ! "Non, je le vois plus maigre." Ah mais Jacques Gamblin n’est pas très épais. "Je le vois plus brun, plus…Il faut que je trouve…un grand sauvage…Ah oui ! Vincent Lindon !!" Déçu. "Oui ! Il habite mon quartier en plus." Alors là, je ne peux pas lutter. "Ou François Cluzet !"
Maintenant c’est à Catherine Siguret de poser la question à la personne qui sera interviewée prochainement. Et nous accueillerons très prochainement Marjory Déjardin, réalisatrice de documentaire, dont le dernier opus a été diffusé au mois d'Avril sur Arte intiulé "Nile Rodgers, les secrets d'un faiseur de tubes", que nous avions évoqué sur Humanvibes. Quelle va être sa question ? "Grâce à l'étude de Nile Rodgers, avez vous retenu une leçon du succès ?" Parfait, nous attendons la réponse de Marjory Déjardin avec impatience.
Catherine Siguret, merci.
Propos recueillis le 16/06/15 à la brasserie Les Éditeurs
Dédicace de Catherine Siguret pour Humanvibes dans son roman "Le mouton de la place des Vosges".
Et pour aller plus loin :
Icône par ce qu'elle représente, avec un lien franco-américain très fort, un documentaire très instructif et bien fait sur la Statue de la Liberté(2013)
La Statut de la Liberté de Mark Daniels(2013) – RTBF – Youtube –
Chronique radio d'Hortense sur une réunion des co-propriétaires(2012)
Hortense(2012) – Europe 1 – Youtube –