Interview de Marjory Déjardin : Tic doc, tic doc, tic doc…

Interview de Marjory Déjardin : Tic doc, tic doc, tic doc…

Marjory Déjardin

Marjory Déjardin

 

Marjory Déjardin, bonjour !

Bonjour !

Comment allez-vous ?

Très bien !

Il fait un peu chaud…

Oui, mais sinon ça va, mon Orangina m’aide !

Parfait. Donc vous êtes productrice, réalisatrice de documentaires et de formation chef opérateur.

Oui, sauf que productrice ce n’est pas exact, disons que je me suis auto-produite  afin de pouvoir obtenir « ma carte de réalisatrice ». Auparavant, j’étais chef-opératrice pour d’autres réalisateurs mais avant de faire de la réalisation, il faut se faire un nom. Voilà pourquoi j’ai fait de l’auto-production pour mon premier documentaire. J’ai eu pas mal de chance puisque j’ai été sélectionnée au FIGRA pour « Femmes en filigrane », j’ai obtenu un prix, ce qui m’a permis d’exister en tant que réalisatrice.

Puisque vous parlez de documentaire, imaginons que vous vous trouviez devant Steven Spielberg, quelle serait votre storytelling afin de le convaincre de produire votre nouveau documentaire ?

Qu’il fait bien de miser sur moi (rires), parce que j’ai plein de choses à créer. Que je n’ai pas envie de réaliser ce qui a déjà été fait. Je veux raconter d’une façon différente les choses que j’ai en tête, et qu’adorant son travail, cela ferait un bon partenariat.

Les raconter différemment vis à vis du scénario, du texte et au niveau des images ?

Oui.  Ce qui est intéressant quand on est d’abord chef opératrice, c’est que l’on connaît la technique. On travaille la grammaire du langage filmé. Faire un film ou un documentaire, c’est raconter aussi en images. Travailler le cadre, faire ressentir une émotion grâce à la composition de l’image, j’aime travailler les symboles grâce à cette grammaire.

Vous évoquez la grammaire, c'est-à-dire que l’on peut faire des fautes ?

Tout à fait. On peut faire vraiment des fautes en cadrage. Par exemple la caméra à l’épaule qui bouge dans tous les sens, soi-disant on crée du style avec cela…Le sens et le pourquoi de chaque image est pour moi très important.

Vous en avez parlez tout à l’heure, vous avez eu un prix en 2010 pour « Femmes en filigrane ». Racontez nous comment vous avez fait pour faire ce documentaire ?

Avec mes deniers et du prêt de matériel, j’ai fait mon documentaire.  À la sortie des marches du Festival, grâce à mon prix, on a acheté mon documentaire (Prix Jury Jeune FIGRA /Festival International du Grand Reportage d'Actualité et du documentaire de société, ndlr)

Alors, je ne l’ai pas vu, mais je sais que vous y parlez beaucoup de transmission. Olivier Sauton que j’ai interviewé dernièrement était lui aussi très sensible à transmettre ses connaissances théâtrales. Je trouve que c’est une notion qui revient de plus en plus.

Je trouve que c’est essentiel. J’adore passer du temps et travailler avec les personnes âgées. Benoite Groult que l’on voit dans le documentaire, m’a dit : « avec les personnes d’un certain âge, le tableau est définitif ». Vous êtes face à des personnes qui ne sont plus dans le combat de coqs avec vous au niveau social et financier etc. J’aime cette sincérité dans leurs façons d’être.

Dans le documentaire, nous voyons votre grand-mère qui évoque le passé, est-ce que vous vous souvenez de votre enfance, vers les 3-4 ans ?

Ah non, je ne me souviens pas. J’ai très peu de souvenirs avant mes 10 ans.

Et quels contes vous lisait-on ?

Je regardais en boucle « le Roi et l’Oiseau ». J’étais passionnée par ce dessin animé, avec toutes les valeurs que contient ce film. Ma mère me lisait « Jonathan Livingston, le Goéland », et j’aimais un autre dessin animé qui s’appelle « Brisby et le secret de Nimh ». C’est vraiment lié à mes souvenirs d’enfance. Je me souviens aussi qu’il y avait eu un film sur Jonathan Livingston, c’était hallucinant, c’était juste une voix off avec un oiseau qui vole tout le temps…j’étais hypnotisée.

Oui, il me semble qu’il y a sur ce film une bande originale qui est assez connue, non ? (Chanson de Neil Diamond, voix off de Richard Harris en VO, ndlr)

Ah, je ne me souviens pas. Mais ces 3 films m’ont beaucoup marqué autant que sur le fond que la forme durant mon enfance.

Alors que diriez-vous à la jeune Marjory Déjardin de 10 ans si vous la rencontriez dans la rue ?

Je savais que je voulais faire ce métier très jeune. Ma mère était assistante de réalisation sur des fictions, et elle m’emmenait sur les plateaux. Elle voulait que je sois actrice mais ce n’était pas du tout mon truc, les castings ça ne me plaisait pas du tout. Un jour, je me suis retrouvée sur un film où je jouais une petite gamine un peu insupportable…

Cela n’était pas un rôle de composition ?

Mais Non ! (rires) J’avais 6 ans, et après le tournage je suis allée voir le chef opérateur qui était derrière sa magnifique caméra 35mm, et je lui ai dit : « Plus tard, je ferai ton métier, mais je ferai mieux ». J’ai ensuite imposé à ma mère de le fréquenter. Il faisait des films en Imax pour la Géode, il m’a prise sous son aile depuis ce temps-là. C’est même lui qui a fait le montage de mon documentaire « Femmes en filigrane ». Il m’a toujours accompagnée, transmis, c’est une sorte de père spirituel dans le métier.

Il exerce toujours ?

Non, il est à la retraite. Mais il est toujours au courant de ce que je fais ou commence, il voit mon travail fini. Comme cela j’ai ma critique sans affect en me disant les pires choses que personne n’oserait me dire, il n’est pas du tout dans le brossage d’ego.

Alors maintenant, comment vous verriez vous à 80 ans ?

J’espère que je serai Rock’n roll ! Je ne sais pas si ça sera « sexe, drogue et Rock’n roll »…drogue…humm… quand on a 80 ans ce n’est pas conseillé! J’espère que mes enfants, petits-enfants et peut-être arrières petits-enfants m’écouteront encore, et qu’ils ne se diront pas : « Merde, ça fait chier d’aller voir la vieille » !

Vous avez encore des anciens films de vacances en famille ?

Quelques uns, mais c’est plus des plans séquences de repas familiaux…totalement irregardable…sauf pour le son : La voix des personnes disparues, c’est très touchant de les avoir sur bande.

Avez-vous remarquez que la tendance du moment était de faire de plus en plus de films en plan séquence, je pense au film  « Victoria » de Sébastian Schipper, ou au plans séquences dans « Birdman » d’Alejandro  Gonsalez Inarritu. Est-ce que vous vous verriez faire un documentaire en utilisant cette technique ?

Un documentaire en plan séquence ? Cela me parait un peu compliqué. C’est plus adapté aux fictions. Dans un documentaire, on ne demande pas aux personnes de se plier à des exigences si contraignantes techniquement. C’est un carcan technique, et je ne veux pas que les spectateurs s’emmerdent. Après, je pense que c’est aussi un désir artistique de réalisateurs, ils se font  plaisir, et cela m’amuse que vous me parliez de ça parce que le premier court métrage que j’ai fait en fiction commence par un plan séquence de 2 minutes 30. J’ai mis une journée pour avoir ce que je voulais, cela dénonçait la loi sur le racolage passif, l’article 18 ! Je suivais une prostituée qui descendait d’un immeuble d’une maison close pour aller dans la rue…avec un balais de filles dénudées tout du long. C’est vraiment un truc de réalisateur pour se lancer un défi assurément, parce que c’est un travail sur le temps et la narration qui est assez intéressant.

Vous avez fait un documentaire sur Nile Rodgers en collaboration avec Julie Veille, pourquoi lui ?

D’abord on est venu me chercher. Ils cherchaient un réalisateur qui pouvait le faire.

Ah, mais qui « ils » ?

La boite de production avec Julie Veille. Julie est la femme du numéro 2 de Warner Music France, Alain Veille, qui est d’ailleurs interviewé dans le documentaire. Elle n’avait jamais écrit de documentaire. Il fallait donc une personne pour co-écrire le film et aussi le réaliser ! Alors pourquoi Nile Rodgers ? Faire un 52 minutes sur la vie d’une telle légende, c’était forcément intéressant.

Comment avez-vous pensé votre documentaire sur cet immense artiste ?

Il a écrit une biographie dans laquelle il évoque l’importance des bruits de New-York qui étaient pour lui une première inspiration sonore durant sa jeunesse. Je me suis servie de cette précieuse information pour construire la forme du film. On y voit beaucoup de transitions des rues de NYC avec notamment des cordes de guitare dans les  immeubles. La ville et ses rues étaient des personnages à part entière du documentaire…

Et lui comment est-il ?

Il est brillant…et insomniaque!

Et vous avez passé combien de temps à New-York ?

4 jours à New-York, une journée en Belgique pour un concert, 1 journée à Londres, 1 à Paris, en tout …une quinzaine de jours de tournage et ensuite plus d’un mois sur le montage.

J’ai beaucoup apprécié votre documentaire, et je suppose que vous avez eu de bon retour.

Oui, beaucoup sont contents.

Et quels sont vos projets futurs ?

Oui…écoutez…

Je vous laisse dire ce que vous pouvez !

Oui, oui, j’ai déjà demandé au producteur si je pouvais en parler… je suis actuellement en train de coécrire avec Gaelle Belan une web-série de fiction pour Arte. Ce sera un 10 fois 7 minutes qui a pour sujet un meurtre dans les coulisses de la musique à travers un groupe qui va connaître le succès. C’est un mélange de documentaire et de fiction, je n’en dirais pas plus, il faudra regarder !

Bien. Et là pour finir, je vous pose la traditionnelle question de la personne interviewée précédemment sur Humanvibes, la romancière Catherine Siguret, qui vous demande ceci : grâce à l’étude de Nile Rodgers, avez-vous retenue une leçon du succès ?

En fait pour répondre à cette question, je citerai plutôt David Lynch que j’ai eu la chance de rencontrer. J’étais toute jeune, j’étais allée le voir pour une interview. Je lui ai demandé s’il avait un conseil à me donner. On a fait une photo, il m’a prise par l’épaule, il a croisé les doigts, il m’a fait regarder la photo, et il a ajouté, vous voyez je croise les doigts pour votre avenir de réalisatrice, et le seul conseil que je puisse vous donner: « Stay true to the idea and your voice ! »…. C'est-à-dire reste en accord avec ton idée et ta façon de la raconter ! Je crois que la clé du succès, c’est cela.

Le prochain invité aux rencontres de Humanvibes sera Emeric Bréhier député socialiste de Seine-et-Marne. La tradition veut que l'interviewé s'adresse à la personne qui le sera prochainement.  Quelle est votre question ?

De mon point de vue, aujourd’hui en France, il n’y a aucun parti ou personnalité capable d’offrir une vision pour notre pays…L’impératif du court terme, les élections à remporter, l’ambition individuelle auraient-ils tué les projets et la vison politique ?

Bien et pour conclure cette entrevue, quel serait votre générique de fin ?

Mon générique de fin ?… Merci pour cet instant de transmission ! (rires)

Propos recueillis le  16/07/15 à la terrasse du café Le Colibri, Place de la Madeleine à Paris

Dédicace de Marjory Déjardin pour Humanvibes

 

Et pour aller plus loin :

 

"Jonathan Livingston le goéland" a été adapté au cinéma en 1973 sous la direction du réalisateur américain Hall Bartlett. Véritable légende de la scène musicale américaine, Neil Diamond en signa la B.O.ce qui lui valu un Grammy Award en 1974.

Neil Diamond – Be(1973) –  Youtube

 

« Le plan est un morceau du film entre deux raccords. Une séquence est un passage, une scène d’un film se situant dans un seul et même lieu et reposant sur une action ou un dialogue principal. Un plan-séquence est donc une séquence composée d’un seul et unique plan, restitué tel qu’il a été filmé, sans aucun montage, plan de coupe, fondu ou champ-contrechamp. »
http://devenir-realisateur.com/mouvement/plan-sequence/

Exemple avec humour  ci-dessous.

Le plan séquence – Orange cinehappy2011) – Youtube

 

Interview de David Lynch pour Inexplore en 2011 en VOSTF qui nous parle de l'intuition et de la méditation transcendentale.

David Lynch(2011) – Inexplore – Youtube

 

Marc / Humanvibes

 

 

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