Thébaïde – Couverture / Marylou Bélouis
THEBAÏDE (1/6)
Thébaïde de Simon Gepp a changé ma vie.
De passage à la FNAC de Rosny 2 pour dédicacer son nouveau roman Poussebot, je décidais d’aller à la rencontre de l'auteur et de le lui dire de vive voix.
La cinquantaine, les cheveux pas encore blanchis, il était là, assis au rayon des auteurs de romans francophones, derrière une table banale. Je notais que sa jambe droite battait le rythme au son de Fades Out Lines reworké par le DJ The Avener que l’on entendait au loin dans le rayon musique, ou était-ce de la nervosité ? C’est drôle comme on peut se faire des idées sur un visage ou une voix. On fait souvent un transfert d’un héros de roman sur son auteur. Etais-je déçu ? Oui assurément. Je l’imaginais plus distingué, avec une personnalité bien affirmée. On était loin du compte. A sa droite, une pile de son nouveau roman qui se déroule en Bourgogne, où il est question d’affaires de famille dans le milieu des vendanges. Je m’avançais vers lui. Il me vit arriver d’un regard sans expression particulière.
– Bonjour Monsieur Gepp, dis-je. Ravi de vous rencontrer.
– Bonjour Monsieur…? dit-il, en dirigeant sa main droite sur le dessus de la pile.
– Non, non ! Je suis désolé, mais je ne viens pas pour une dédicace de votre nouveau roman.
Le regard déjà fatigué, il me lança. Ah…
– Non. En fait je venais à propos d’un roman que vous avez écrit il y a longtemps.
–Turbide ? me lança t-il interrogatif.
– Non pas celui-là.
– Pétrichor ?
– Non désolé, d’ailleurs pour être franc je n’ai pas lu tous vos livres.
– Mais je ne vous en veux pas…marmonna t-il.
Une petite dame arriva, se campant derrière moi avec justement Pétrichor dans la main. Elle le tenait comme si le Saint-Graal était en sa possession, tout en me jetant un regard complice.
– C’est le dernier que j’ai trouvé en poche ! Je veux l’offrir à ma fille, dit-elle essoufflée.
Un vendeur passant par-là, comme pour s’excuser, annonça qu’il avait déjà passé une commande et que la livraison n’allait pas tarder, mais il ne savait pas quand précisément. Refrain connu. J'ai eu l’impression qu’il s’adressait plus à Simon Gepp qu’à la dame.
– Ah très bien. Bon choix, lâchais-je pour lui être agréable.
– Thébaïde ! Je pense que c’est celui-là, coupa le romancier.
– Oui, vous avez raison. Ils sont curieux les titres de vos romans. Je dois à chaque fois en vérifier les significations dans le dictionnaire. On y fait des découvertes, et cela m’est arrivé de les replacer dans des diners mondains comme on dit, dis-je amusé.
Izia Higelin chantait au loin : Attirée par le fond / Tu t'es perdue sans doute / Le reflet des rayons / Te protège de tout / Je suis la vague qui te ramène / Sur les récifs quand tu te perds / Je suis le soleil qui te brûle…
Se penchant vers moi, en élevant légèrement la voix.
– J’adore les mots rares qui ne sont plus ou peu utilisés. Ils ont une force dans la diction, dans la note musicale que l’on ne trouve plus dans la langue moderne…Thébaïde ! Je vis maintenant sur les bords des rives du lac d’Annecy, et ma femme et moi avons appelé notre maison du même nom. Nous trouvons que ça correspond parfaitement à l’ambiance du lieu. Tenez, je vais vous faire une confidence : Il y a longtemps, j’adorais regarder les jeux de 20 heures qui passaient…
– Sur France 3, coupais-je tout de suite avant la fan de derrière qui me jeta un regard désobligeant.
– Oui, mais à l’époque la chaine s’appelait FR3 affirma-t-il, péremptoire.
L’adoratrice trépigna de joie.
– Vous avez connu Maitre Capello de son vrai nom Capellovici ? Quel personnage truculent ! Il n’avait pas son pareil pour donner les définitions des mots. Il m’arrive souvent de penser à lui quand j’écris mes romans, sa disparition en 2011 m’a beaucoup affecté, et je suis loin d’avoir ses qualités de linguiste…
Un nuage passe.
Effectivement Thébaïde est mon 2è roman. Il a moins bien fonctionné que Le Portefaix…Allez savoir pourquoi.
– …mais Le Portefaix vous a fait connaître auprès du grand public et a failli avoir le Goncourt, glissa fièrement d’une voix mielleuse l’idolâtre derrière mon épaule. J’avais vraiment affaire à un cas.
– Oui, à mon grand étonnement. Et vous voulez que je vous dédicace Thébaïde je suppose ?
– Non.
– Non ?
La groupie. Non ?
– Non, c’était juste pour avoir le plaisir de vous rencontrer, et de vous dire que votre livre avait changé ma vie.
A suivre…
Marc / Humanvibes
« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existées ne saurait être que fortuite. »