Le conte de Noël de Humanvibes
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La vie en rose
La période de Noël approchait. J’avais vraiment décidé cette fois-ci de me lancer dans une "cuisine" un peu plus sophistiquée pour le déjeuner familial du 25/12 en mettant les petits plats dans les grands. Je regardais depuis 2 mois à la louche les sites et les magazines se rapportant à des menus de fêtes. Les verrines me semblant être un peu plus originales que d’habitude, je jetais mon dévolu sur une entrée mousse d’avocats aux crevettes. Déjà un plat de trouvé… j’avançais donc à petits pas dans la réalisation de mon menu.
– Non. Je n'aime pas les crevettes, me fit mon épouse.
– Alors il va falloir que je trouve un bon avocat pour défendre ma cause fis-je ravi de ma plaisanterie.
Ma femme me regarda avec ses yeux noirs. J’avais bien quelque chose à ajouter en rapport avec les crevettes, mais ma petite saillie précédente ayant fait chou blanc, je ne voulais pas passer de nouveau pour une andouille.
– Ah ! Tu commences à me courir sur le haricot avec tes recettes exotiques! Je ne mangerai que l’avocat alors…lança-t-elle.
Puis elle quitta la cuisine. Et fait en sorte qu’il soit bon ! ajoute-t-elle.
Mon 25/12 commençait mal d’entrée. Dans quel pétrin étais-je en train de me fourrer ? Moi qui avais la pêche en ce début de journée, mon enthousiasme s’effondra comme un soufflé. Ce réveillon sentait le pâté à plein nez.
Je n’étais pas sorti de l’auberge, ainsi pour mettre toutes les chances de mon côté, je décidais d’aller acheter des crevettes surgelées chez Friscard. Avec les surgelés Friscard, c’est le panard ! Pas de surprises. En voilà une enseigne qui fait son beurre, surtout pendant les fêtes. Je jetais mon dévolu sur un sachet, dont les crevettes décortiquées ne risquaient pas de me faire des yeux de merlan frit.
300 g, à l’huile d’olive et ail., ce choix me paraissait judicieux. En plus j’avais de la chance, il était en promotion ! En arrivant à la caisse une mégère de moins de 50 ans me fit une queue de poisson pour me passer devant. Je restais stoïque devant tant de médiocrité. Moi aubergine, je lui aurais collé une prune bien comme il faut !
En fin de soirée, j’ouvris le sachet et posai délicatement dans un bol 3 crevettes en vue d’une décongélation lente pour tester le produit.
Le lendemain soir, c’est avec une certaine solennité triomphante que je sortis mon récipient avec mes 3 petites pensionnaires devant ma femme. Las ! Interloqués à leurs vues, nous sommes restez muets comme des carpes…
Quand le vin est tiré, il faut le boire ! dis-je peu de temps après. Avant de jeter le tout à la poubelle, je notais toutes les informations nécessaires sur le paquet et me promis d’appeler le service consommateur le lendemain. Il ne faut pas me prendre pour un jambon, hein !
Ce qui a donné à peu près cela le jour suivant.
– Surgelés Friscard, service consommateur, Aglaé à votre écoute, bonjour, que puis-faire pour vous ? fit-elle d’une voix pompeuse.
Aglaé, et pourquoi pas Sidonie pendant qu’on y est ? Elle avait l’air de ne pas se prendre pour une queue de cerise.
– Bonjour Madame, je vous appelle parce que je viens de rencontrer un problème sur un de vos produits. En fait, non. 2 problèmes. Et j’avoue que la moutarde me monte au nez ! Mais cette phrase je la gardais par devers moi pour ne pas entamer la conversation à couteaux tirés.
– Avez-vous noté les dates et les codes imprimés sur le paquet ?
Elle essayait de me mettre chocolat.
– Tout à fait répondis-je tout de miel.
– Je vous écoute.
– Alors, alors… Date de péremption : 27/01/17. Date de fabrication : 01/09/16 luis dis-je.
– Vous avez l’heure de la date de fabrication ? N’y allant pas avec le dos de la cuillère dans la précision.
– Heu…07h46 lui répondis-je mi-figue mi-raisin.
– Bien…Le code de fabrication ?
–T18669 ID
–T18669 ID répéta-t-elle.
Cela m'énérve cette manie qu'ont les gens de répéter ce que l'on vient de dire. De ma capacité à répondre du tac au tac, je l’imaginais être comme 2 ronds de flan.
– Le code produit au-dessus du code barre s’il vous plait ?
Ah…C’est la fin des haricots pensais-je.
– Je ne l’ai pas mais je peux vous donner le nom du produit…
(silence)
– Je vous écoute.
– Crevettes à l’huile d’olive et à l’ail.
–Très bien c’est noté Monsieur. Quel était le problème ?
La mayonnaise prend pensais-je.
– En fait les crevettes sont toutes grises et n’ont pas du tout la même couleur que sur la photo du sachet, annoncais-je.
(silence)
– C’est normal Monsieur. Les crevettes qui ne sont pas cuites ont toujours une couleur grise et presque translucides.
– ….Ah !
– Oui. Et une fois cuites elles prennent une couleur rose. Celle que vous voyez sur le sachet.
(silence)
Purée ! ne lui lançais-je pas.
– Ah…Ecoutez j’ignorais totalement…que…je ne…Et bien… je crois que j’ai appris quelque chose…merci !
(silence)
A cet instant j’en voulu énormément à Mme Desban – ma maîtresse du primaire – d’avoir omis de mettre les crevettes au programme des sciences naturelles.
– Oui ? dit-elle
– Bon ok déclarais-je, en ayant quand même l’air d’une personne qui n’avait pas inventé la machine à cintrer les bananes.
– 2è problème. J’ai goûté à vos crevettes… elles avaient un goût de caoutchouc…de plastique. Bref, elles avaient vraiment un drôle de goût ! J’ai même dû les jeter à la poubelle, c’est pour vous dire !
– Ah merci de nous le signaler Monsieur, je vais faire remonter l'information.. Je vais donc prendre vos coordonnées, et vous envoyer un courrier pour vous répondre ainsi que des bons d’achats…
Me faisant passer pour un bœuf-carottes je la questionnais.
– Vous n’avez toujours pas de panel de consommateurs qui goûtent les produits avant de les mettre en rayon ?
– Non Monsieur. Nous avons un chef cuisinier qui prépare et vérifie les produits, et ce sont les collaborateurs de Friscard qui font ensuite la sélection.
– Et bien sachez Madame que c’est bien dommage. Car si je faisais partie des consommateurs qui testent vos produits, sachez que vos crevettes ne seraient jamais sorties de votre cuisine ! Je vous invite vraiment à les retirer de la vente pour ne pas nuire à votre image. Je vais vous avouer une chose, je suis un client fidèle de Friscard et ce n’est pas la première fois que je vous appelle pour vous signaler des petites choses négatives, de façon général j’aime bien ce que vous faîtes, mais là…, ça ne va pas du tout, il fallait que je vous le dise…
J’étais satisfait d’avoir repris le dessus d’une conversation qui ne tournera pas en eau de boudin cette fois-ci.
– Bien Monsieur. Pouvez-vous me rappeler vos coordonnées s’il vous plait ?
Tout à fait…Et là soudainement, une suée terrible fit son apparition qui finit par couler le long de mon échine…
– Monsieur ?
Je rembobinais à vitesse grand V le film de ma vie. Je revoyais la scène. Moi allant chez Friscart. Moi sortant fièrement les crevettes décongelées du frigidaire. Ma femme dubitative. Nous s’exclamant sur leur couleur… Et puis moi qui… !!??
– Monsieur ? Vous êtes là ?
Non je n'étais plus là. Je raccrochais, terriblement honteux. J’avais mangé de la crevette crue…Oui, crue. Etait-ce possible ?
Il vaut mieux être le dindon de la farce que la farce du dindon, a dit Yvan Audouard (1914-2004).
On se console comme on peut.
FIN
"Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs (ou presque), toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existées ne saurait être que fortuite (ou presque)…
Marc / Humanvibes