Faut-il se précipiter pour aller voir le film Le Grand Bain ?
Gilles Lellouche avait commencé à penser à un film de potes quadragénaires dépressifs – pas forcément amis dans la vie – il y a une quinzaine d’années mais il n’avait pas eu le temps de le réaliser. C’est en regardant le documentaire sur Arte du réalisateur britannique Dylan Williams à la télévision (Men Who Swim sorti en 2010, voir ci-dessous) sur des hommes pratiquant la natation masculine synchronisée à Stockholm que l’idée définitive lui serait venue, sachant qu’un film suédois sur le même sujet (Allt Flyter, The Swimsuit Issue sorti en 2008) n’avait pas provoqué un emballement médiatique au-delà de la Scandinavie. Sans compter qu’un film en version anglaise (Swimming With Men, sorti en été 2018) venait confirmer que le sujet était aussi porteur que l’eau permet à un corps de flotter dans une piscine. « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? » écrivait Alfred de Musset. Je vais répondre à cette interrogation. Gilles Lellouche a réussi son pari : faire une comédie douce-amère, teintée d’humour, plaisante et réussie, sans trébucher dans le pédiluve à aucun moment, on peut dire qu’il a réussi son effet « médiaquatique » ! Montrer le dépassement de soi, l’engagement à l’effort à travers un sport collectif, la volonté de se prouver que la réussite est possible par une remise en cause du groupe a été le fil directeur scénaristique de Gilles Lellouche, mais pas seulement.
Le film aurait pu s’intituler Delphine, Bertrand, Marcus, et les autres faisant allusion à un film de Claude Sautet qui savait brosser des portraits d’hommes dans les années 70, celui de Gilles Lellouche est revisité en moins viril et plus féminin. La dépression, maladie du siècle, y est abordée mais l’important pour ceux qui s’y noient, c’est de faire le premier pas. Ici, s’inscrire dans une formation de natation synchronisée masculine coachée par des femmes, qui est un sport pratiqué presque exclusivement par les filles. Un lieu qui a aussi son importance, j’ai nommé le vestiaire. Lieu emblématique des confidences en tous genres qui permet de parler de ses problèmes hors contexte familial. Également le thème de la reconnaissance, celle qui nous fait aussi avancer. Delphine le personnage que joue Virginie Efira ne dit-elle pas : « On a tous besoin de médaille. » Qu’elle soit personnelle ou collective, dans le milieu professionnel ou non, un retour positif via une breloque ou même un compliment est toujours bon à prendre et fait un bien fou.
Il est rare de voir des comédiens passer leur temps dans une piscine à pratiquer la natation synchronisée. Bonnets de bains disgracieux, ventres rebondis, muscles relâchés, slips de bains en lycra près du corps, lunettes de natation pour eux ce n’est pas difficile. Mais tout cela nous ramène à nos expériences de la piscine vécues de l’enfance à l’âge adulte, qui nous font jubiler en nous renvoyant à notre image. Personnellement, je m’en « fish » pourrais-je dire. Peut-être, mais la piscine, cela est quand même différent de la plage. On n’y vient pas pour les mêmes raisons, on se sent plus scruté, pas de t-shirt ou de maillot bermuda…
Pour faire un bon film choral, il faut d’abord choisir un casting qui tienne la route en saupoudrant savamment la distribution. Des comédiens.nes connus et bien installés.ées (Guillaume Canet / Benoît Poelvoorde / Matthieu Amalric / Jean-Hugues Anglade / Virginie Efira / Leïla Bekhti / Marina Foïs), d’autres plus iconoclastes (Philippe Katerine / Alban Ivanov), ou en devenir ( / Félix Moati), voire inconnu (Balasingham Thamilchelvan). Chaque comédien est à sa place dans le registre qu’on leur connait, sorte de Pieds Nickelés pataugeant dans leurs vies personnelles, se jettant corps et surtout âmes dans la piscine, tentant de se sortir de toutes sortes de difficultés.
2 piscines sont visibles dans le film. La première, celle qui servira pour le concours international de natation synchronisée masculin en Norvège, filmée au Kremlin-Bicêtre dans le Val de Marne, et celle du Raincy dans le 93, où toute la bande va s’entrainer à la fin de la journée. Eh oui, désolé, c’est cela la prestidigitation cinématographique, un making-of fait de drôles unités de temps et de lieux. On nous fait croire à une piscine où les montagnes alentours sont omniprésentes (banlieue de Grenoble au centre-ville d’Échirolles, ou à Comboire en février/mars 2017. Gilles Lellouche a également tourné à Lans-en-Vercors et au campus universitaire de Grenoble), alors que la base d’entrainement est ailleurs.
Intéressons-nous de plus près à celle du Raincy en Seine-Saint-Denis. La très bonne lumière (bien qu’il y ait aussi des scènes de nuit) et l’espace autour du bassin a certainement contribué à convaincre Gilles Lellouche de choisir ce décor pour y tourner une bonne partie de son long métrage en avril 2017, également pour choisir la photo de l’affiche du film. Beaucoup seront tentés de s’y rendre afin de rejouer, pourquoi pas, les scènes cocasses et aquatiques du film (le grand et le petit bain, gradins, douches, alentour des bassins). Mais sachez, que la piscine est fermée depuis 3 mois jusqu’en septembre 2019 pour d’importantes rénovations et par conséquent les lieux risquent d’être différents (?). Mais ayant anticipé cette fermeture, je vous offre la possibilité de voir ci-dessous à quoi ressemblait cette piscine pendant le tournage. Elle passe désormais à la postérité en qualité de beau décor de cinéma, pour un film qui rencontre un énorme succès.
Et je vous invite à (re)lire les 2 interviews des nageuses de l’équipe de France de natation synchronisée, Maureen Jenkins et Eve Planeix pensionnaires de l’INSEP, que nous avions réalisés en janvier dernier. Elles y apportent un éclairage détaillé sur leur sport et ont croisé les comédiens lors de leurs entrainements.
Et pour aller plus loin :
La BO du film a été écrite par le chanteur, compositeur, auteur américain Jon Brion. Elle inspire plutôt une tristesse rêveuse des protagonistes. Des musiques connues des années 80 viennent également illustrer le film, avec notamment celle de Phil Collins(Easy Lover) qui accompagne la prestation de l’équipe de synchro au concours internationnal en Norvêge, au cas où vous souhaiteriez vous agiter dans votre baignoire. Ci-dessous une petite sélection…
Ouverture – Le Grand Bain (2018) – Jon Brion Something To Prove – Le Grand Bain (2018) – Jon Brion Le final – Le Grand Bain (2018) – Jon Brion
Easy Lover (1984) – Phil Collins & Phillip Bailey So Good So Right (1981) – Imagination
Tout d’abord la bande annonce du film, pour vous (re)mettre dans le bain
Bande annonce – Le Grand Bain (2018) – Youtube
La piscine telle que Gilles Lellouche l’a vue la première fois pour se rendre aux bassins, à noter l’endroit où les comédiens se tenaient debout entre les 2 piliers de bois pour illustrer l’affiche du film, et les fameux gradins.
Pas de piscine sans pédiluve, où des passerelles sont installées côté gauche pour qu’Amanda (Leïla Bekhti) puisse accéder au bassin en fauteuil roulant. Gilles Lellouche aurait presque pu demander à partir avec la plaque « Grand bain » comme souvenir porte bonheur…
Au premier plan photo de gauche, le petit bain où les personnages s’entrainent devant Delphine (Virginie Efira) à l’arrivée d’Amanda en fauteuil roulant. Photo de droite, au premier plan où devant un paper board, Marcus (Benoit Poelvoorde) et Thierry (Philippe Katerine), nous donnent une leçon de choses toutes personnelles sur le souffle devant le groupe et Amanda.
Les gradins où Bertrand (Matthieu Amalric), les familles et les amis assistent à une démonstration de l’équipe de natation synchronisée masculine. Les lunettes et le bonnet de bain, accessoires essentiels.
Au fond de la photo de gauche, on aperçoit les 2 entrées qui mènent aux vestiaires via les douches. Photo de droite, imaginez-vous en Gilles Lellouche se baissant pour donner les indications aux comédiens..
Le plongeoir où Delphine donne ses conseils a été disposé à la place de la chaise du maître nageur. Photo et echelle de droite, le moment où Laurent (Guillaume Canet) va se montrer un tantinet énervé vis à vis d’Amanda, ainsi que l’endroit au fond où le réalisateur a effectué un plan de l’extérieur sur la piscine.
La luminosité de cette piscine est un atout, qui plus est lorsque vous y nagez. Remarquez ses reflets sur l’eau que le directeur de la photographie (Laurent Tangy) a dû apprécié.
Sur les plots de départ où les personnages se sont élancés dans des arabesques autant verbales qu’artistiques… Le fond de la piscine que Thierry (Philippe Katerine) découvre rêveur par un hublot dans le sous-sol technique.
Remerciements à la mairie du Raincy et à son service sportif pour m’avoir donné la possibilité d’accéder à la piscine de la ville dans les meilleures conditions, et d’y faire toutes les photos qui illustrent cet article.
Le documentaire en Suédois, sous-titré en anglais, du réalisateur britannique Dylan Williams Men Who Swim (2010) qui mérite que l’on s’y attarde : l’histoire d’un groupe d’hommes se consacrant à la natation synchronisée qui a inspiré Gilles Lellouche
Men Who Swim (2010) – Dylan Williams – Youtube
Marc / Humanvibes
Publié le 01/12/18