« Tempête dans le bocal » de Bruno Patino chez Grasset

« Tempête dans le bocal » de Bruno Patino chez Grasset

 

                                        "Tempête dans le bocal" de Bruno Patino chez Grasset

 

3,2,1, sortez !  © DR Grasset

 

HUMANVIBES VOUS RECOMMANDE – Bruno Patino est un lanceur d’alerte à sa façon pour tout ce qui touche au numérique. Le poisson rouge n’aime pas vivre seul. Heureusement il a son smartphone. Heureusement ? Mon "avis novélisé" sur son dernier ouvrage "Tempête dans le bocal" chez Grasset.

 

– Oui Messieurs les jurés ! Mon client regrette d’en être arrivé à cette extrémité. Mais c’était le seul moyen pour se faire entendre. Se faire écouter. Se faire comprendre.

Pierre Rayssier, avocat depuis 2035, rompu aux joutes verbales et ayant gagné la majorité de ses procès liés au numérique se tourna vers lui. Son client reposait sur un guéridon. Le smartphone Pear VS 350 version 64 tenait verticalement appuyé sur son mini support. Il produisit une petite musique pour donner son accord. Il en avait fait du chemin pour en arriver là.  Depuis que la nouvelle génération de nanopuce électronique était sortie en 2040, les smartphones avaient la possibilité de communiquer par eux-mêmes. Adieu Siri, bye bye Alexa, adios Google et autres assistants vocaux depuis bien des années !  Munis d’une intelligence artificielle surpuissante, répondant à la voix, utilisant depuis 2035 la poursuite oculaire, ils étaient devenus les nouveaux animaux familiers. Dociles, ils étaient au service de leur maître. Ils les suivaient partout. Réclamant seulement une fois tous les 6 mois d’être rechargés en moins de 5 minutes, bénéficiant d’une obsolescence programmée obligatoire comprise entre 10 et 15 ans (cela avait fait grincer des dents les fabricants), la réalité avait dépassé la fiction. Le journal web Le Communicant avait titré «Les nouveaux toutous» en parlant des smartphones.

Rendez-vous compte, reprit l’avocat. Monsieur Edouard Riménuque apparemment lassé de son smartphone a pris une décision inconcevable ! Il scanna de ses petits yeux malins les visages des douze jurés.

– Il s’en sépara en le déposant un beau matin de juin 2050 devant la Société Protectrice des Smartphones (SPS) de son département. Quel courage ! Comment auriez-vous vécu cette situation à la place de mon client…Je vous le demande ! Mais le plus simple est de lui poser la question, non ?

La parole au plaignant

– Pear VS 350 version 64. Racontez-nous ce qu'il vous est arrivé, s'il vous plaît.

Un long silence s’installa. Puis une lumière bleutée envoûtante se dégagea de l’appareil  devant l’assemblée. Dans une voix féminine impeccable, de haute qualité et en son binaural, le Pear se mit à parler.

– Tout à commencé quand… quand Edouard, mon maître, a fait l’acquisition d’un vieux livre de 2022 dans une brocante.

Le Procureur demanda alors de préciser l’intitulé du livre.

– «Tempête dans le bocal» Monsieur le Procureur. De Bruno Patino aux éditions Grasset. Et là, le regard d'Edouard sur moi a changé. Depuis 3 ans je le servais comme personne. Attentive à tous ses caprices, toutes ses connections sur les réseaux sociaux, tous les logiciels de visioconférence, sur toutes les plateformes de streaming et les jeux vidéo reliés à un casque immersif en 4D et bientôt 5D relief ! Parfois je me connectais sur la bonne appli avant même qu’il me tende la main pour me saisir. Je connaissais tous ses goûts, ses envies… J’étais LA connexion de sa vie ! Je n’étais plus simplement une machine liée aux algorithmes, j'étais son alter-egorithmique ! Mais ce livre, Monsieur le Procureur, ce livre lui a mis le doute dans sa tête…. Un livre qui évoquait comment se soustraire à l’ère du numérique ! Pffff ! Foutaises ! Il parlait de reprendre son destin en main. Mais dans sa main, c’est SA destinée qu’il tenait ! Rien d’autre ! J’étais son passé, son présent et son futur ! Tout cela condensé dans un petit bijou de technologie ! Pas la peine de chercher ailleurs !

Prendre le temps de regarder le ciel ? Mais moi, je lui en donnait du ciel avec des étoiles plein l’écran ! Bruno Patino s’est mis entre nous, puis lentement il s’est immiscé dans sa tête, dans sa conscience, pour ne plus le lâcher. Peu à peu, Edouard s’est désintéressé de moi. J’ai remarqué qu’il changeait…que ses recherches de mots étaient différentes comme «nature», «désintoxication numérique», «données», «écran» et la plus difficile d’entre elles Monsieur Le Procureur : «vivre sans son smartphone» !!!

Le début de la fin

– Tous les soirs il lisait quelques chapitres du livre. Il revenait parfois dessus, comme pour mieux s’en imprégner, comme pour mieux comprendre que le temps était venu de briser les chaînes, disait-il. Mais de quelles chaînes parlons-nous ? Pas les miennes ! Moi, je ne proposais que du bonheur. J’étais sélective dans ses joies, ses peines… Je n’étais pas futile, je ne me trompais jamais. Le hasard n’avait pas de place chez moi, tout était calculé pour son bien-être et qu’il perde le moins de temps possible ! Alors pourquoi me faire ça  ?

Un silence pesant régnait dans la salle d’audience garnie au-delà de la jauge autorisée.

– Un jour on s’est expliqué. Notre première dispute. Ce jour là, j’ai peut-être eu tort. Je lui ai dit de choisir entre moi et… son livre. Cela n’a pas eu l’effet escompté. Il a voulu tout savoir sur l’auteur : président d’Arte, spécialiste des médias et des questions numériques, Bruno Patino a écrit plusieurs ouvrages qui ont connu un immense succès. Edouard a eu le culot de faire ses recherches vous savez-où ? Pas sur son ordinateur, non, sur mon écran ! Vous entendez, sur mon écran ! Quel goujat ! Quelle indélicatesse ! Je lui donnais toutes les réponses aux questions qu’il se posait comme une gourde ! A la voix, au doigt et à l’œil, j’étais devenue l’instrument de ma disgrâce…

Un abandon mal compris

Un oh ! d’approbation se fit entendre. Parmi les jurés, il devait y en avoir qui plaignaient le smartphone, et ça ne sentait pas bon pour le prévenu. Justin était de ceux-là. A peine la trentaine. jeune sales trader dans la finance, il ne comprenait pas ce que le dénommé Riménuque ait pu faire une chose pareille. Se séparer de son smartphone ? Quelle idée saugrenue ! Pour faire quoi ? Se retrouver seul ? Isolé du monde ? Tout ça parce qu’un auteur en 2022 a écrit un livre qui souhaitait réveiller les consciences ? Mais pour lui, rien ne valait un bon smartphone dans sa vie et tirer le meilleur du Pear VS 350, qui plus est en version 64 ! Il utilisait le même modèle, il en savait quelque chose. Encore heureux que Riménuque ne l’est pas jeté ou écrasé à terre comme un vulgaire insecte.

SPS, mon amie

A la SPS, heureusement, on prenait bien soin des smartphones abandonnés. Il avait un ami qui travaillait dans un centre d’adoption. Ce qu’il racontait était parfois terrible. Il fallait se boucher les oreilles le soir quand on entendait toutes les plaintes qui sortaient de ces pauvres machines esseulées. C’est normal. Le soir et le matin étaient les moments de la journée où les smartphones étaient les plus sollicités par leurs maîtres. Quand Edouard Riménuque avait pris la parole hier après-midi en essayant de justifier son geste impardonnable, il avait cité une phrase de la page 21 du livre de Bruno Patino à propos de Facebook; déjà en 2019 : «  (…) le nombre de comptes Facebook utilisés quotidiennement (1,6 milliard) et mensuellement (2,4 milliard) continuait d’augmenter (+8%), et le chiffre d’affaire du mastodonte de Palo Alto de croître de 28 % par rapport au trimestre précédent. » S’en était trop ! On devait s’excuser de réussir maintenant ?

La justice a tranché

Peu après, dans le journal numérique Le Communicant, on pouvait lire ces quelques phrases : Hier la justice a rendu son verdict lors du procès d'Edouard Riménuque qui avait abandonné son smartphone devant la SPS de son département en juin 2050, et attaqué par ce dernier.

Edouard Riménuque a été condamné à reprendre son smartphone Pear VS 350 version 64, et l’obligation à l’utiliser comme cela était le cas avant son abandon. Toutefois, le jury a reconnu au prévenu des circonstances atténuantes. La lecture « Tempête dans le bocal » de Bruno Patino chez Grasset est un élément extérieur qui a pu alerter Edouard Riménuque sur un éventuel danger de l’utilisation intensive de son smartphone et de son contenu, ce qui a entraîné chez lui le commencement d’un rejet traduit par l’abandon de sa machine. Il a été décidé, qu’ayant eu la volonté de ne pas désactiver son smartphone définitivement en le confiant à la SPS de son département, qu’une période de non utilisation de deux heures par jour de son smartphone pouvait être toléré, si le besoin s’en faisait sentir.

Edouard Riménuque a fait appel de cette décision.

 

Marc / Humanvibes

Publié le 11/02/2022

 

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