Avis sur "La vie secrète d'un cimetière" de Benoît Gallot
Benoît Gallot est conservateur du cimetière du Père-Lachaise depuis le 01/08/2018 © Les Arènes
HUMANVIBES VOUS RECOMMANDE – Oui, le cimetière du Père-Lachaise est pourvu de charme et de poésie ! Mon avis "novélisé" sur l'ouvrage "La vie secrète d'un cimetière" aux éditions Les Arènes, du Conservateur du lieu Benoît Gallot.
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En début de journée au cimetière du Père-Lachaise dans le XXe arrondissement de Paris, un corbeau se pose sur les branches d’un arbre. Il jette un œil autour de lui, et pousse un croassement glaçant. Un peu plus bas, il aperçoit un renard bien matinal, qui s’est mis en boule pour se réchauffer. Rien d’étonnant à cela pour le volatile. De nombreux animaux ont pris possession de l'endroit. Mais peu de personnes savent à quel point il est fréquenté par une faune variée, jusqu’à ce que le Conservateur, Benoît Gallot, se mette à prendre des clichés d'animaux qui peuplent « son » cimetière. Il les diffuse depuis avril 2020 sur son compte Instagram, sur une idée de son épouse… Colombe.
Renards, fouines, chouettes hulotte, mulots, musaraignes, souris, campagnols, hérissons…, sans oublier une soixantaine d’espèces d’oiseaux qui n'attendent tous qu'à passer sous son objectif ! Il a même sorti récemment un ouvrage original et instructif, intitulé « La vie secrète d'un cimetière » aux éditions Les Arènes. Il nous fait découvrir les coulisses de son métier sans « concession », et évoque sa découverte de la photographie. C’est bien écrit, rythmé, ponctué d'anecdotes passionnantes, avec en prime un plan détachable du cimetière qui vous indiquera les tombes de personnalités, ou en lien avec une histoire, un lieu, ou une architecture particulière.
Au détour d'une allée, la rencontre… © Benoît Gallot / Ville de Paris
Le corbeau fixe le renard, puis s’envole soudainement d'un air dédaigneux. Nous nous trouvons à la 16e division, chemin de Lesseps. Avant de partir en promenade, ou en chasse, l’animal aime souvent se reposer ici. Mais pas n’importe où : sur la pierre tombale du chanteur d’Hervé Cristiani (1947- 2014). Une dalle funèbre toute simple, où l’esprit du canidé vient parfois à s’évader. Le renard est couché entre un bouquet de roses artificielles en forme de cœur, rougeâtres sur les côtés et vertes en son milieu, et une petite plaque mortuaire posée sur un socle où est inscrite une belle épitaphe : « La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. » Il adore cette plaque, car on y voit dessus à gauche de belles feuilles d’automne qui s’envolent aux couleurs de son pelage roux, et à droite un ciel bleu limpide où l’on imagine un beau soleil que l’on ne voit pas.
Goupil pense aux nombreux visiteurs du cimetière. Spécialement à ceux d’aujourd’hui qui viendront se recueillir sur la célèbre tombe du chanteur Jim Morrison (1943-1971) du groupe The Doors, si bien évoqué entre autres, dans le livre de Benoît Gallot. Ils ne vont plus tarder à défiler, et communier ensemble toute la journée autour du tombeau particulièrement protégé par des barrières comme d'habitude, pour célébrer ce fameux 8 décembre : le 79e anniversaire de la naissance du chanteur. Il y en a même qui déposeront en souvenir – autour de la protection d’un arbre – une petite pâte de couleur bien curieuse… Que de monde en prévision venant de tout horizon !
Il va s’amuser à les observer de loin, tapi dans l’ombre d’un monument funéraire. Peu de personnes prendront le temps de s’arrêter devant la tombe d’Hervé Cristiani, en comparaison à celle du rocker Américain juste en face dans la 6e division. Tant mieux. Pourtant il est l’auteur et l’interprète d’une superbe chanson au tout début des années 80 : Il est libre Max. Son plus grand succès. Cette phrase, le renard en a fait sa devise. Un symbole et un hymne à la liberté. Lui-aussi est libre de gambader dans ce grand espace vert de 43 hectares en toute tranquillité. Ce titre vaut bien une chanson de Jim comme Riders on the Storm, Light My Fire ou The End, non ?
La preuve que les corneilles ne passent pas leur temps à bayer © Benoît Gallot / Ville de Paris
Le renard se met sur ses pattes. Il s'étire longuement et regarde tout à coup sur sa gauche. Un bruit suspect juste derrière une statue ? Il est aux aguets. De son museau, il renifle l’air autour de lui. Fausse alerte. Cela le ramène à la soirée du 26 avril 2020. Tout était encore très calme dans le cimetière. Il donnait le sentiment d'être fermé depuis un bon moment ! À l'époque, il était encore un renardeau tout fou fou, qui jouait dans les allées à se chamailler avec sa sœur. Puis, après avoir couru longuement pour attraper, qui une feuille, une plume, un insecte, un oiseau ou un vieux marron, il aperçoit tout à coup un homme caché derrière un caveau : le Conservateur avec un appareil photo autour du cou ! Le canidé s'approche de lui prudemment… il lui laisse finalement le temps d'immortaliser l'instant, malgré que celui-ci ne lui ait pas demandé la permission. Dorénavant, les renards, comme d'autres animaux et autres oiseaux, sont devenus les stars des réseaux sociaux du célèbre cimetière parisien, et plus encore dans le très bel ouvrage de Benoît Gallot.
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Division 30. Un plan froissé du cimetière emporté par le vent, virevolte entre les monuments funéraires vers l'avenue des Acacias. Il a dû glisser de la poche de son propriétaire. Le renard le voit arriver près de lui d'un regard interrogatif. La feuille vient se poser délicatement devant l'animal, qui rapide comme l'éclair la retient avec sa patte. Il la fixe. Il s'interroge. Écrit au verso, à la main, un texte semble l'intriguer. Il baisse la tête comme s'il tentait de le lire. S'il avait eu ce don, il aurait compris qu'il avait affaire à une fable…
LE CONSERVATEUR ET LE RENARD
Le Conservateur, sur Instagram connecté,
Se mit en tête d'écrire un ouvrage.
Maître Renard flatté,
Lui adressa la parole sans ambage :
« Hé ! bonjour Monsieur Gallot. Nous montrer, quel beau cadeau !
Votre ouvrage aux superbes images
Nous rend bel hommage
Où vous nous traitez comme des rois. »
Ah ! Ces mots laissent le conservateur pantois.
Il décide d'obtenir une photo du courtois.
Polaroid grand ouvert, il déclenche d'un doigt.
Photo sortie, le renard s'en saisit et dit :
« Mon bon Monsieur, apprenez que tout reporteur
Doit demander la permission
Avant de faire sa composition.
Cette leçon vaut bien bien un tirage, sans doute. »
Le Conservateur soupçonneux, conclu plus tard qu'il avait rêvé ce qu'il avait vécu.
Marc Bélouis
Marc / Humanvibes
Publié le 08/12/2022