Avis sur "Le soldat désaccordé" de Gilles Marchand (6/6)
Voyage au bout d'un mystère © Aux forges de Vulcain
HUMANVIBES VOUS RECOMMANDE – La Grande Guerre comme vous ne l'avez jamais lue ! Mon avis "novélisé" en six chapitres sur le nouveau roman de Gilles Marchand – "Le soldat désaccordé" – aux éditions Aux Forges de Vulcain.
SOLDAT LAPLUME (6/6)
Meaux, le 30 août 1914
Jeanne, mon amour, ma chérie
Je suis affreusement triste depuis mon départ et de la façon dont cela s’est passé. Mais je veux que tu me pardonnes et que tu saches. Je n’ai pas voulu te faire du mal. Nous faire du mal. C’était mieux ainsi. Tu sais, je les ai vus les couples à la gare. Je les ai vus les adieux déchirants. Certaines s’accrochaient au bras de leurs compagnons, ou leurs maris. Elles dégageaient un tel abandon que cela en était terrible. Je ne pouvais les regarder dans les yeux. Je ne voulais pas que nous vivions ça tous les deux. Figure-toi que j’ai même vu des pères mobilisés qui embrassaient leurs fils avant de monter dans le wagon, et d’autres d’un certain âge faire de même en voyant grimper leur jeune progéniture, tu te rends compte ! Moi, je voulais partir sur notre belle dernière soirée. Sur tout ce que l’on a vécu de beau ensemble. Je ne voulais pas que les souvenirs de cette séparation nous hantent à jamais. Le quai tristesse, c’est ainsi que je l’ai appelé, même si d’autres faisaient les fiers à bras, tout sourire, fleurs et fanions à la main en chantant la Marseillaise. Est-ce qu’ils se rendaient compte de ce qui les attendait ? Je t’écrirai autant que je le peux. Je t’en supplie, réponds-moi. Réponds-moi vite et pardonne-moi. Notre histoire ne doit pas s’arrêter sur mon geste d’amour que j’ai eu pour toi, j’ai cru bien faire…
Je t’aime plus que tout.
Ton Lucien
*
Paris, le 30 août 1914
Lucien,
Comment as-tu pu me faire cela ? Partir à la sauvette comme un couard. Mais cette guerre fait partie de nous, il faut l’affronter même si c’est difficile. Oui, j’aurais pleuré toutes les larmes de mon corps. Oui, j’aurais crié sur le quai tristesse, comme tu dis. C’est comme ça, il faut l’accepter. Il fallait le vivre pour me rendre plus forte. Tu m’as retiré cet instant. Tu nous l’as volé. Le bonheur se nourrit du malheur. Que dirai–je plus tard à notre enfant ? J’allais te l’annoncer en partant. Sur le quai. Pour nous donner du courage. Pour nous aider à traverser les épreuves. Penser à l’avenir. Ça aussi, je l’ai perdu à jamais. Je comptais te le murmurer à l’oreille tendrement : mon amour, j’attends un bébé.
Je te demande de ne plus m’écrire. On verra comment les choses vont évoluer, mais sache Lucien que tu es parti doublement. À la guerre et de mon cœur.
Jeanne
Épilogue
Cimetière de Tardinghen / Pas-de-Calais
Le 3 septembre 2022
Le petit Nathan ne voulait pas partir sans son ballon. Sylvie, sa mère, a fini par accepter pour éviter une dispute. Elle lui dit de bien se tenir, ils vont passer devant le cimetière de l’église Saint-Martin, et profiter encore une fois de la vue sur la mer.
Nathan le promet à sa mère, mais il ne peut s’empêcher de jouer avec. Il tape doucement du pied dedans, court après, puis au troisième coup, il y met plus de force. La balle passe par-dessus le muret du cimetière. Elle virevolte plusieurs fois, rebondit et vient s’arrêter sur une vieille dalle qui est positionnée sous un grand arbre. C’est la seule placée à cet endroit. Sa mère le gronde. Ils entrent dans le cimetière, sa mère récupère – discrètement – l’objet de discorde et gronde son fils. Nathan se met à pleurer. En partant, son regard se porte sur la stèle où il est inscrit :
Jarvis Colter
War photographer
1893 -1917
He died for his country
FIN
REMERCIEMENTS
À Vanessa Raveneaux, de l'agence Observatoire qui assure la promotion d’importants événements et institutions en France et en Europe, qui m'a permis d'entrer en relation avec le musée de La grande Guerre de Meaux.
À Marie-Priscilla Leterme, médiatrice culturelle au musée de La Grande Guerre de Meaux, pour ses précisions et détails bien utiles qui donnent à ce récit fictionnel une vérité historique.
À l'auteur Gilles Marchand et David Meulemans des Éditions Aux Forges de Vulcain pour leur gentillesse et leur disponibilité.
Au Soldat déssacordé sans qui mon avis « novélisé » Le Soldat Laplume n'aurait jamais existé. Il a été le point de départ d'une histoire improbable qui nous a conduit à retrouver officiellement des preuves administratives de notre arrière-grand père Gaston, François, Théodule, mort pour la France le 28 janvier 1915 en forêt d'Argonne. Il avait 29 ans.
À Pascale, Marylou, Nicole, Anne-Sophie, « bataillon » de lectrices / correctrices attentives et efficaces.
Et pour aller plus loin :
Bien que mon avis « novélisé » ne se soit pas inspiré de ce fait historique, mon arbre se situant au cimetière d'Étaples, j’ai appris par la suite qu’un charme est relié à un fait de guerre en devenant en quelque sorte une relique pour les Sud-Africains au Mémorial sud-africain de Bois d'Elville.
Rencontre lors de de la séance de dédicace musicale de Gilles Marchand, le 14 septembre 2022 à la librairie L'attrape-Cœurs 42 avenue Junot. 75018 PARIS.
Gilles Marchand (2022) © Marc Bélouis Dédicace de Gilles Marchand (2022) © Marc Bélouis
David Meulemans, président des Éditions Aux Forges de Vulcain, que j'ai eu l'occasion d'interviewer sur Humanvibes, s'emploie toujours à proposer des romans intelligents superbement bien édités. Nous nous connaissons depuis mai 2021, suite à la sortie de son ouvrage auto-édité Écrire son premier roman en dix minutes par jour dont j'ai publié également un avis « novélisé ».
David Meulemans (2022) © Marc Bélouis
Marc / Humanvibes
Publié le 20/10/2022