Interview de David Meulemans : À tous ceux qui rêvent d'écrire un roman !

David Meulemans © Aurélie Delahaye

David Meulemans ne se contente pas d’être éditeur aux éditions Aux forges de Vulcain. Fort de son expérience de docteur en philosophie, spécialisé en questions de créativité, il a récemment auto-édité le manuel "Écrire son premier roman en dix minutes par jour" qui n’a pas d’équivalent. L'auteur donne des pistes à explorer pour se lancer dans l’écriture pas à pas. Alors, sortez vos plumes et lancez-vous !

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David Meulemans, vous étiez enseignant, docteur en philosophie, spécialiste de tout ce qui touche à la créativité. En 2010, vous changez de métier et vous créez la maison d’édition Aux Forges de Vulcain . Vous y avez édité en janvier dernier un manuel qui s’intitule Écrire son premier roman en dix minutes par jour. Comment s’articule votre manuel ?

Un manuel doit avoir une dimension pratique. On peut le lire de la première à la dernière page en 1h30, ou on peut juste parcourir un chapitre par semaine et en tirer des exercices. Je propose dans mon manuel d’écrire un peu tous les jours, si c’est le cas au bout d’une dizaine de semaines on doit avoir écrit à peu de choses près un roman. Dans un premier temps, j’y aborde les questions de blocage psychologique de l’écriture. Dans un second temps, je parle des techniques comme construire une histoire, des personnages, et je finis par la relecture. Je ne parle quasiment pas de comment se faire éditer, il est possible que dans une nouvelle édition je consacre un chapitre à ce sujet.

Quelle est votre définition de la créativité ?

Ah ! J’ai fait une thèse sur ce sujet, je ne sais pas si je sais toujours y répondre ! [Rires.] … Le propre de la créativité…c’est utiliser ses ressources pour trouver des solutions à des problèmes qui ne sont pas des déductions. C’est la différence entre un travail d’ingénieur, qui peut être créatif, mais où intervient en général davantage le calcul.

C’est bien que tout le monde écrive, mais je ne suis pas convaincu que tout le monde doive être édité.

David Meulemans

Les confinements successifs, surtout le premier, ont permis à beaucoup de Français de se découvrir des talents littéraires. L’avez vous ressenti en tant qu’éditeur ?

Je l’ai ressenti…On a reçu beaucoup plus de manuscrits. C’est bien que tout le monde écrive, mais je ne suis pas convaincu que tout le monde doive être édité. Parmi les nombreux manuscrits envoyés, il y a beaucoup de gens qui ne lisent jamais, les textes ne sont pas très bons. Nous n’avons donc pas publier davantage durant ces périodes, mais pour moi ce qui manque pour l’instant, c’est que personne n’a publié un bon texte sur le confinement directement ou indirectement. Peut-être que quelque part cette œuvre existe, ou qu’elle est en cours d’examen chez un éditeur…

Écrire pour la première fois peut générer la peur d’être ridicule. De quelle manière éviter cela ?

Là, on rentre dans une forme d’intimité chez les gens, chacun a un vécu différent. Il y en a qui vont se dire « de toute façon je ne peux pas écrire autre chose d’autre qui soit le résultat de mon histoire personnelle, de mon éducation, de mes pratiques de lecture. » Dans ce cas, on est peut-être plus libéré, car on est presque déterminé à écrire en donnant un sens. Autre technique pour surmonter la peur du ridicule, c’est aussi faire la différence entre le premier jet et la réécriture. Souvent un texte devient bon par la suite après avoir été remanié plusieurs fois. Enfin, je dirais qu’il faut essayer de comprendre pourquoi on a cette peur, ici on entre un peu dans la psychanalyse [Rires.] Qu’est-ce qui parle en nous ? De mauvais souvenirs scolaires ? Parfois nous sommes trop influencés par nos lectures de lycée. On essaye de reprendre le style de Flaubert, par exemple. Au lieu de se focaliser sur la finalité de ce que l’on écrit qui est d’être lu, il faut se concentrer sur le plaisir de l’écriture. S’amuser en écrivant est souvent un bon moyen d’avancer, en évacuant tous les jugements esthétiques que l’on peut avoir sur son œuvre.

La confiance en soi se nourrit des choses qui fonctionnent.

David Meulemans

Écrire c’est aussi avoir confiance en soi. Que faut-il faire pour l’acquérir ?

Je le mentionne un peu sur le manuel. C’est une question de psychologie que l’on pose depuis presque 150 ans avec William James (philosophe et psychologue américain né en 1842 et mort en 1910, NDLR). Il y a 2 manières d’avoir de la confiance en soi : on l’a originellement, ou on l’a par les résultats que l’on obtient. Pour des gens dans le premier cas, leurs parents leur ont rabâché depuis leur enfance qu’ils sont géniaux, ou ils ont un degré de confiance dès la naissance. Mais cela peut-être illusoire. Si un enfant fait un dessin moche, mais que les parents disent qu’il est très beau, il est à même de penser qu’ils l’aiment et veulent l’encourager qu’importe la qualité réelle de l’œuvre. Je préfère l’approche qui est de faire quelque chose que l’on regarde objectivement comme « fonctionnant ».

Je prends toujours comme exemple un livre américain qui a eu beaucoup de succès qui s’intitule L’Éloge du carburateur de Matthew Crawford (essai sur le sens et la valeur du travail, NDLR). L’auteur raconte qu’il adore essayer de bricoler des motos en panne, parce qu’à la fin l’engin fonctionne ou pas. De même étant adolescent, il faisait un peu de plomberie. Si plusieurs personnes se mettaient autour d’un robinet soit-disant réparé, elles ne pouvaient pas faire de compliments si l’eau ne sortait pas. Un texte a aussi cette dimension là. Il possède une valeur qui est concrète qui explique qu’il est agréable à lire ou pas. La confiance en soi se nourrit des choses qui fonctionnent.

On trouve plus de livres consacrés aux méthodes sur le cinéma et des guides sur l’écriture de scénarios. Votre ouvrage est original, car il est rare de parler des techniques d’écriture de roman…

Il y a deux raisons à cela. L’écriture est le loisir créatif le plus pratiqué en France. Mais le nombre de professionnels dans cette activité est très limité, surtout celle de la fiction. Pour des raisons économiques, il est plus facile de gagner sa vie comme scénariste de cinéma, à la télé, ou de jeux vidéos que comme écrivain. Un film, c’est beaucoup plus de budget avec une part réservée au scénariste. Un roman qui a du succès ne rapporte pas énormément d’argent. Mécaniquement on trouve donc moins de livres sur la façon d’écrire un roman. L’imaginaire de l’écriture, c’est à dire ce que l’on pense de l’écrivain, est hostile à l’idée de travail. On pense tout de suite à des notions comme l’inspiration, le génie personnel, l’intuition. C’est bien sûr une erreur, car il n’existe aucun art où il y a des talents innés. Il peut y avoir des dispositions, mais la plupart du temps, les gens apprennent petit à petit.

Vous appréciez particulièrement l’écrivain Martin Winckler. Qu’a t-il de spécial dans sa façon d’écrire ?

En France il y a un écart entre la littérature grand public et celle un peu plus élitiste. Nous avons très peu d’écrivains populaires et ambitieux, Martin Winckler réussit à concilier les deux. Son second roman qui l’a révélé, intitulé La Maladie de Sachs, est écrit à la 2eme personne du singulier, dans la littérature, c’est plutôt atypique. Pour des raisons politiques et sociales, c’est un auteur qui a un vrai respect pour la culture populaire, pour les gens de manière générale. Beaucoup plus jeune il a passé un an aux États-Unis, et les Américains enseignent l’écriture dans les universités. Il a donc ce bagage de construction littéraire ambitieux. Chez nous, cela existait un peu dans les années 70, ce n’est que très récemment que l’on propose de vrais Masters d’écriture créative.

Aux Forges de Vulcain , c’est une dizaine de publications par an dans les collections papier, essais, sciences, fictions et numérique. Comment peut-on vous étonner avec un manuscrit ?

Il y a beaucoup de manuscrits qui ont du mal à enchaîner les phrases, les paragraphes, les pages. Maintenant je suis plus étonné par des choses très simples, avec quelqu’un qui sait lancer une histoire et accrocher le lecteur…

Souvent l’écriture, c’est plus un travail de réponse que de la création ex nihilo.

David Meulemans

Vous avez aussi lancé une Web App nommée DrafQuest qui aide les écrivains débutants. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Elle est toujours en ligne, le but est d’encourager les gens à écrire au quotidien. Elle est ludique parce qu’elle présente l’écriture comme un jeu de façon à diminuer l’anxiété de l’exercice. Elle repose aussi sur des textes projectifs sous forme de visuels pour éviter la panne d’inspiration, et de rappeler que l’esprit humain est fait pour être réactif pour faire face à la page blanche. Souvent l’écriture, c’est plus un travail de réponse que de la création ex nihilo.

Et pour finir, une question à laquelle vous auriez aimé répondre et que je ne vous ai pas posée ?

Je n’ai aucune imagination ! [Rires.] Souvent on écrit sur ce qui nous manque et pas nécessairement sur ce que l’on connaît très bien. J’ai écrit ce manuel parce que j’aimerais être créatif, et non parce que je le suis…Donc la question ce serait : pourquoi avoir écrit sur la créativité ? Et vous avez la réponse ! [Rires.]

Propos recueillis le 03/05/21

Dédicace de David Meulemans pour Humanvibes