Rencontre avec Nicole : Vie d'une enfant parisienne sous l'occupation
Je trouve qu’il est primordial quand l’occasion se présente, de demander aux personnes que l’on côtoie dans la vie quotidienne qui ont vécu la guerre de 39-45 à Paris, d’apporter un témoignage sur cette période. Nicole, 80 ans, fait partie de ces témoins qui enfant se souvient de détails qui sont parfois anodins, mais remis dans le contexte ont une importance particulière. C’est à mon sens, des souvenirs qui doivent être racontés afin d’apporter un éclairage sur l’Histoire de France, et en garder une trace.
MB(2019) – Nicole
– Un face à face inattendu
Je me souviens que nous avions pris le métro aérien de la ligne 2 du métro parisien avec ma mère. A un moment donné nous nous sommes retrouvées à côté d’un soldat allemand qui me regardait fixement. Il a fini par sortir de sa poche intérieure une photo en nous la montrant : " Schön, schön ! " nous lance t-il. En fait nous avons compris qu’il trouvait que je ressemblais à sa fille. Elle était comme moi, avec des cheveux frisés. Ma mère, ma sœur et moi étions tétanisées. Il fallait surtout faire bonne figure en étant souriantes… Je ne me souviens plus ce que ma mère a dit, mais nous avions peur de faire quelque chose qu’il ne fallait pas. En descendant de la rame, nous avons poussé un soupir de soulagement. Avec le recul et mon regard d’adulte, je me mets à la place de ce militaire allemand. En étant loin de chez lui et de sa famille, j’ai réveillé en lui de précieux souvenirs. Notre réaction de crainte était légitime dans ce contexte, mais c’est un regret de ne pas avoir été aimables.
Nicole à l'âge d'un an et 1/2
– Décision difficile
Notre père d’origine sicilienne, pas encore naturalisé (il le sera en octobre 1947) était pris en tenaille. Il était certain d’être incorporé dans l’armée française, mais la guerre avec l’Italie, le mettait énormément dans l’embarras. Comment serait-il considéré parmi les soldats français ? Et serait-il amené à combattre contre les Italiens ? Il a préféré se cacher en province dans une ferme où il effectuait les travaux des champs. Heureusement, personne n’est venu contrôler les fermiers qui l’employaient, cette situation a duré quelques mois.
– Vie scolaire
Nous allions à la cantine de l’école, mais la nourriture n’était pas très bonne. Ma mère était contente que l’on puisse manger à notre faim, car le rationnement limitait considérablement le contenu des repas. Ma mère qui était plutôt enrobée, a maigri énormément durant cette période. Une fois à l’école, je me suis rendue compte que le pain avait cuit avec une farine de mauvaise qualité dans lequel se trouvait des vers… Cela m’a épouvantée ! Ma mère nous a immédiatement retirées de la cantine, et on se débrouillait comme on pouvait pour le déjeuner. Par contre le soir avec les tickets de rationnement, nous mangions dans un petit bistrot familial pour pouvoir tenir le coup qui s’appelait Valentin. Notre grand-mère nous accompagnait tous les matins à l’école. Je ne sais pas pourquoi, mais nous arrivions toujours juste avant la fermeture des portes. Parfois elles se refermaient avant l’heure devant nous, je soupçonne que c’était fait exprès, car nous avions un nom d’origine italienne ce qui faisait que l’on nous traitait fréquemment de macaronis ! C’est pour cette raison que notre père ne nous a pas appris l’italien à la maison, car ce n’était pas bien vu. J’ai regretté plus tard de ne pas parler cette langue…
– Chaussures
Beaucoup de choses manquaient comme les chaussures en cuir. Nous avions des sandalettes, mais les œillets artisanaux en fer dans lesquels passaient nos lacets nous blessaient. J’ai eu le pied droit abîmé, et j’en ai gardé une cicatrice encore visible aujourd’hui.
Nicole à l'âge de 6 ans
– Alertes
Nous entendions souvent les sirènes qui nous alertaient qu’un bombardement allait avoir lieu. Nous descendions alors dans les caves pour se protéger. Elles étaient prévues pour recevoir le charbon pour se chauffer, et pas du tout faites pour accueillir des personnes. Elles étaient extrêmement sombres et humides, et à cause de cela mes parents ont décidé de ne plus y descendre qu’importe les conséquences. Un soir pour nous distraire, nous sommes allés en famille voir un spectacle à la Gaité Lyrique dans le 3è arrondissement, et pendant la représentation une alerte nous a obligés de nous mettre à l’abri. Puis nous sommes remontés voir la fin du spectacle.
– Souvenirs
A la suite de toutes les commémorations qui ont eu lieu en 2019, mes souvenirs me rappellent cette période tragique en France, mais à l’époque l’espoir de retrouver la liberté nous a permis de supporter toutes ces privations, et ces difficultés pour vivre normalement. L’acte de naturalisation de notre père en octobre 1947 a été un évènement marquant. A tel point que je me souviens que ma mère avait gardé l’avis sans en parler à mon père, et l’a mis sous le sapin comme cadeau de Noël ! Cela lui a permis de trouver un travail dans une banque , et de prendre un nouveau départ pour toute la famille.
Propos recueillis le 16/11/19
Et pour aller plus loin :
Nicole habillée en Napolitaine à l'âge de 13 ans MB(2019) – Nicole
La réconcilitaion franco-allemande, voulue par De Gaulle et Adenauer en 1962 en VOSTF
Réalisons l'Europe(2014) – YouTube
Marc / Humanvibes
Publié le 11/12/19