Interview de Léa Hybre : Une bulle de talent qui éclot à la surface !
L’histoire des douze enfants de 11 à 16 ans et leur entraineur de foot de 25 ans, bloqués durant 17 jours dans la grotte thaïlandaise de Tham Luang inondée par de fortes pluies, a ému le monde entier en juin 2018. La Mule et le Sanglier chez Massot Éditions, sur un scénario de Thierry Falise, nous raconte cette gigantesque opération de secours. Mais comment retranscrire par le dessin cette aventure humaine ? La talentueuse Léa Hybre, illustratrice de 26 ans, a parfaitement réussi sa mission pour sa première entrée dans le monde de la BD jeunesse. Son trait de crayon léger et aérien, plaira aux enfants, qui découvriront ce beau récit initiatique. Que les parents se préparent aux nombreuses questions auxquelles ils devront répondre face à ce sauvetage hors du commun. Et le mieux en cette période de fêtes, c’est encore de le lire en famille !
Léa Hybre – Crédit photo © Pierre Hybre
Léa Hybre bonjour, comment vous êtes vous retrouvée à illustrer la BD La Mule et le Sanglier ?
J’ai été mise en relation avec l’éditeur Florent Massot par l’intermédiaire d’une amie qui travaillait aux éditions Les Arènes, tout comme ma sœur, qui leur a souvent montré mon travail. J’avais déjà collaboré avec cette relation en lui faisant une illustration d’un article dans une newsletter féministe. En juin 2018, elle m’a parlé d’un gros projet de BD de 140 pages environ, que lançaient les Éditions Massot au sujet d’un fait divers…
C’était une belle opportunité !
Pour moi, c’était une chance incroyable ! J’ai bien sûr dit que j’étais intéressée, et j’avais hâte d’avoir des nouvelles de l’éditeur. Et puis un jour Florent Massot m’appelle, il était hyper sympa, sans me connaître ni d’Eve ni d’Adam, sachant que je n’avais jamais fait de bandes dessinées. C’est à ce moment–là qu’il me parle du sujet sur les enfants coincés dans une grotte, et il me demande de lui faire 1 ou 2 cases de test alors qu’il n’y avait aucun texte, ni scénario. De plus j’ai su plus tard qu’à l’origine il y avait une mangaka [auteure de manga, NDLR] qui était sur le projet, donc différent de ce que je fais, quand bien même je m’inspire un peu de la BD japonaise. Mais dès le départ, j’ai décidé de rester fidèle à mon univers artistique en me disant que ça passait ou ça cassait ! Et à l’arrivée ils ont apprécié mon style très roman graphique, et j’ai signé pour le projet !
Vous avez enseigné dans une école cachée dans la jungle cambodgienne. Cela aurait pu aussi faire office de BD ! Dites-nous en plus !
[Rires.] Une BD, oui absolument ! J’avais 20 ans lorsque je suis allée au Cambodge en 2012 pour la première fois. J’avais très envie de partir loin toute seule pour voyager, et je rêvais d’aller en Asie qui représentait pour moi beaucoup de mystères. C’est par l’intermédiaire du Wwoofing que je me suis lancée. [Le néologisme « wwoofing » est formé à partir des initiales d'une association née en Angleterre en 1971 et baptisée WWOOF : World Wide Opportunities on Organic Farms. Le plus souvent il s’agit d'aider un exploitant agricole ou un éleveur bio dans ses travaux mais également intervenir dans les écoles, les orphelinats etc. ; en échange de cette aide, il est proposé de vous accueillir gratuitement, logé et nourri, NDLR.] Je me suis donc retrouvée dans une école entre la jungle et les mangroves dans un village au milieu de nulle part. J’ai été prof d’anglais là-bas et quand je me déplaçais les enfants criaient: teacher Léa, teacher Léa ! [Rires.] J’y suis restée un mois, et j’y suis retournée l’année d’après tellement j’avais aimé ! Alors oui, je pourrais toujours en faire une BD, ce serait un bon sujet, et j’ai encore beaucoup d’amis là-bas…
Vous êtes sortie de l’école supérieure des arts appliqués Duperré, et pour obtenir votre diplôme, vous aviez choisi de travailler sur le roman de cowboys Lonesome Dove de Larry McMurtry, prix Pulitzer en 1986. Cela consistait en quoi ?
Oh la la ! Vous avez lu ce livre ?
Non…
Ce roman est incroyable !! C’est une épopée à travers les Etats-Unis où l’on croise de vieux cowboys fatigués qui sont à la frontière mexicaine, qui décident de créer un ranch dans le Nord. Ils vont convoyer leur troupeau et croiser la route de terribles indiens hors la loi, on est en plein dans le crépuscule du western. Il fallait que j’adapte ce thème en proposant différents niveaux de lecture. J’ai donc réalisé un imagier en stylisant les lettres de l’alphabet, un montage vidéo en reprenant tous les plans liés aux codes du western, les revolvers, les mains, les yeux, les bottes, les chevaux etc., et des illustrations sur du bois en faisant un décor de western pour le théâtre qui était amovible et sur roulette en taille réelle.
Je suppose quand même qu’à l’école Duperré, ils sont heureux que l’une de leur élève se soit lancée dans l’illustration avec succès !
Oui, ils sont contents mais mon diplôme était plus en relation avec la direction artistique, c’est-à-dire travailler une image dans l’espace, dans un volume. Alors faire de la BD en étant diplômée de cette école, ce n’était pas forcément la bonne voie… Disons que j’ai quitté l’illustration pour mieux y revenir. [Rires.]
A propos de La Mule et le Sanglier, la difficulté première à mon sens était d’illustrer la grotte de Tham Luang où les enfants étaient retenus prisonniers. Comment avez-vous collaboré avec le scénariste Thierry Falise ? Et quels ont été vos choix artistiques.
Je me suis dit : tiens une BD dans une grotte, ça va être génial ! [Rires.] Je ne voulais pas représenter les personnes dans la grotte avec les yeux blancs dans le noir, j’avais envie de faire ressentir cette oppression différemment qu’avec des couleurs terreuses. Je l’ai donc fait violette qui est une couleur mystérieuse, un peu magique dans laquelle il peut se passer tout ce que l’on veut, je trouve. Avec Thierry – qui est journaliste – on a échangé par mail, mais j’ai surtout travaillé sur son livre Pris au piège [chez Massot Éditions NDLR] qu’il avait écrit sur cette histoire, j’ai eu le texte avant sa sortie et j’ai eu le droit de faire le découpage scénaristique comme je le souhaitais, mais c’était déjà très précis et très documenté.
Avez-vous eu l’opportunité de vous déplacer sur les lieux et de rencontrer les protagonistes ?
Non, j’aurais bien aimé…J’ai eu le texte le 01/09/18 et je devais tout transmettre 3 mois après, c’était très serré ! Par contre il y a 3 ans je suis allée dans cette région de Chiang Rai avec des amis, donc je connais bien l’atmosphère qui s’y dégage. De toute façon on ne peut pas rencontrer les enfants, l’Etat l’interdit aux journalistes, mais Florent Massot a rejoint sur place Thierry Falise quand il écrivait son livre, et ils ont rencontré le directeur de l’école des enfants, le prêtre bouddhiste qui tenait le temple du village et d’autres personnes qui connaissaient les enfants.
Vous avez donc fait un travail considérable de recherches…
Je me suis fiée aux souvenirs que j’avais de la Thaïlande, et Florent a pris 1000 photos sur place. J’avais donc à disposition la grotte de l’extérieur sous toutes les coutures !
Cela se lit comme un roman d’aventures. Cela aurait pu s’appeler "20.000 lieux sous la terre" !
Oui, j’aurais adoré ! [Rires.] J’ai voulu donner un rythme de BD d’aventures plus destiné à la jeunesse, plutôt que de mettre en avant les sensations d’étouffement, de sueur, de noirceur, de tristesse qui auraient plus concerné les adultes, je pense.
Personnellement, j’y ai appris des éléments du sauvetage que j’ignorais comme l’anesthésie des enfants qui ont dû être endormis pour passer les cavités immergées…
Oui, c’est incroyable ! C’est quelque chose qui n’avait pas été trop divulgué par les autorités parce que médicalement dans cette situation c’était très délicat, et probablement que religieusement aussi…
En tant qu’adulte, comment auriez-vous réagi si vous vous étiez retrouvée coincée dans la grotte de Tham Luang ?
Je pense que j’aurais beaucoup pleuré !! Je ne sais pas…J’aurais essayé de méditer avec l’aide du coach, et de nager mais cela aurait été une très très mauvaise idée…Je ne suis pas claustrophobe, mais j’ai peur du noir, cela aurait été très difficile à vivre !
Que diriez-vous aux parents qui souhaiteraient faire découvrir la BD à leurs enfants ?
Je vous invite à le faire, car je pense que cette BD d’aventures pour les enfants est cool car elle parle aussi du bien-être de soi, de tolérance religieuse et celle envers les autres, et que l’entraide est importante dans un groupe. Et puis ces jeunes ils sont sympas, on a envie de les sauver !
Avez-vous des projets de BD à venir ?
Oui, j’en ai avec une auteure de roman qui souhaite aussi passer à la BD, ce sera sûrement plus contemplatif et destiné aux adultes, et enfin un album jeunesse…
Et pour finir, une question à laquelle vous auriez aimé répondre et que je ne vous ai pas posée ?
Est-ce ce que vous avez aimé faire ce projet ? Oui, j’ai a-do-ré !!
Léa Hybre, merci.
Merci à vous !
Propos recueillis les 30/10/19
Et pour aller plus loin :
Interview du"Tac au Tac" de Léa Hybre sur Humanvibes
http://www.humanvibes.com/content/interview-du-tac-au-tac-de-lea-hybre?ck=
Dédicace de Léa Hybre pour Humanvibes dans la BD La Mule et le Sanglier chez Massot Éditions
La Mule et le Sanglier La Mule et le Sanglier La Mule et le Sanglier
Les créations graphiques de Léa Hybre
https://www.behance.net/leahybre
Site de Massot Éditions
Le site de WWOOF France
Site de l'école Dupérré 75003 Paris
Léa Hybre au travail…
Léa Hybre – Crédit photo © Samy Boudol
Il faut de la méthode et de l'organisation pour gérer efficacement les planches de dessins
Léa Hybre – Crédit photo © Léa Hybre
Le sauvetage des enfants de la grotte de Tham Luang raconté par le journaliste Thierry Falise
Radio-Canada Info(2018) – Thierry Falise – YouTube
Enfilez vos bottes, mettez vos chapeaux et en route pour une traversée à cheval du Mexique au Montana. Lonesome Dove de Larry McMurtry, adapté en mini-séries télévisée, est à lire si vous aimez les grands espaces et le western !
Une minute, un livre(2017) – Médiathèque de Contes – Lonesome Dove
Marc / Humanvibes
Publié le 30/11/19