Interview de Michka Assayas : he's got a ticket to write !
The Beatles : Get Back – Éditions Seghers
« Je pourrais dire que dans ma vie je serais rentré pendant plusieurs mois dans la peau des Fab Four ! » peut maintenant déclarer Michka Assayas, à qui l’on a confié la mission de traduire l’ouvrage de The Beatles : Get Back aux Éditions Seghers. L'animateur de l’émission musicale « Very Good Trip » sur France Inter et maître d’œuvre entre autres du Dictionnaire du Rock a senti tout le poids de cette responsabilité qui lui a été donnée. Cet ouvrage mérite dorénavant sa place dans le panthéon littéraire du groupe.
Peter Jackson qui a réalisé le documentaire Get Back en trois parties pour la plateforme Disney+, s’est montré au départ très sceptique sur le projet du livre. Il s’est aperçu ensuite que cet ouvrage était indispensable. Que diriez-vous à ceux qui douteraient encore de l’intérêt de cette sortie ?
Je leur dirais que c’est une occasion unique de prendre connaissance des échanges entre les Beatles le plus intimement. De découvrir leur quotidien avec leur spontanéité, leur humour, leurs disputes, leurs remords. Get Back permet de rentrer dans les coulisses de leur création.
C’est une grande responsabilité que l’on vous a confiée pour la traduction de cet ouvrage. Comment l’avez-vous appréhendée ?
J’étais très fier de me lancer dans cette traduction et à la fois angoissé ! Quand j’ai pris connaissance du manuscrit, je me suis aperçu qu’il y avait beaucoup de mots d’argot, beaucoup de références à l’actualité de l’époque, des imitations de personnages…C’est un peu comme si vous étiez dans un train avec devant vous une bande de lycéens de terminale à la fin des années 60 qui déconnent entre eux, tout en travaillant sur un projet. Je voulais que cela soit aussi naturel en français qu’en anglais, et ça n’a pas été une mince affaire…
Combien de temps cela vous a-t-il demandé ?
Je pense que j’ai dû passer autour de 3 mois 1/2. Comme vous le savez, je suis très occupé par mon émission de radio en soirée sur France Inter, et j’ai dû donner de grands coups de collier le week-end pour finir dans les temps ! [Rires.]
"Pour les passionnés du groupe et peut-être les autres, on apprend une multitude de choses que l’on ne connaissait pas."
Michka Assayas
Comment avez-vous collaboré avec John Harris qui a signé le livre ?
Je n’ai pas eu de relations avec lui mais j’aurais bien aimé ! Ce journaliste du Guardian, qui est aussi un auteur spécialisé en musique, a écouté toutes les bandes de plusieurs dizaines d’heures. Il a fait un travail remarquable de sélection. Il y a du rythme, des dialogues qui fusent, des intrigues, des rebondissements comme dans une série ! Pour les passionnés du groupe et peut-être les autres, on apprend une multitude de choses que l’on ne connaissait pas.
Pendant l’enregistrement de Let It Be, pourquoi les Beatles n’ont pas communiqué pour lever les doutes sur leur entente, par exemple, par l’intermédiaire de l’attaché de presse d’Apple, Derek Taylor ?
C’est une question très pertinente ! Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le dernier disque studio du groupe est Abbey Road qui sort en septembre 1969. L’album et le film Let It Be, qui sont sortis après coup en 1970, sont une sorte de sauvetage du projet initial. Il a été poussé par le manager Allan Klein pour renflouer les caisses d’Apple qui était en grandes difficultés financières. Et puisque le groupe n’existait plus, on comprend pourquoi il n’y a pas eu de promotion. C’est donc un album posthume.
À la vue du film, tout le monde pensait que le groupe était au bord de l’implosion, finalement à la lecture de l’ouvrage il n’en est rien.
Absolument ! C’est le fils du producteur George Martin qui a dit que les Beatles sont à ce moment là dans la situation d’un couple qui s’est éloigné et qui essaye de reconstruire quelque chose ensemble. Ce n’est pas facile à cause de griefs, de non-dits, mais le courant passe toujours très bien entre eux, musicalement en tout cas.
On pourrait très bien jouer au théâtre les scènes que l’on découvre dans le livre. Quels sont les comédiens que vous verriez bien interpréter les Beatles et avec quel metteur en scène ?
[Rires.] Alors là, quelle question ! [Rires.] Je ne connais pas assez bien la jeune génération de comédiens, je ne peux pas vous le dire…À la mise en scène, Peter Jackson le ferait très bien, c’est certain ! En fait, je pense qu’il faudrait trouver l’équivalent d’une bande de potes, comme par exemple Les Robin des Bois ou Les Nuls à leur époque qui auraient une grande complicité, qui se répondraient du tac au tac avec une grande capacité d’improvisation, cela fonctionnerait parfaitement au lieu de comédiens pris séparément.
À condition de savoir jouer de nombreux instruments !
Oui, voilà ! Je me rends compte en disant ça que c’est un peu la quête de l’impossible, mais qui sait ? Ça pourrait inspirer une bande de potes musiciens.
"Rétrospectivement la séparation était peut-être évitable, ils auraient pu prendre de bonnes vacances, aller chacun au bout de leurs projets respectifs et se retrouver quelques années plus tard…"
Michka Assayas
Ce serait alors une comédie ou un drame ?
Un peu des deux ! [Rires.] C’est une bonne question ! Il y a parfois un côté comique par certaines situations quand par exemple John Lennon arrive complètement défoncé et qu’ils se mettent à improviser des paroles obscènes sur Ob-La-Di, Ob-La-Da…Il y a beaucoup de moments loufoques à la Marx Brothers. C’est aussi triste car d’une certaine manière c’est la fin de l’enfance, c’est une bande de potes célèbres qui ont réalisé des choses miraculeuses en étant encore des gamins. Ils ont vécu leurs rêves et à un moment donné ils se séparent. John Lennon se consacre à la femme qu’il aime, George Harrison, après un voyage aux États-Unis revient avec une autre ambition musicale, Ringo Starr a toujours été neutre et il est plutôt fataliste, Paul McCartney est le seul qui tient encore la boutique, mais il n’a pas vraiment d’autorité sur les autres car ils ne le considèrent pas comme un chef. Rétrospectivement la séparation était peut-être évitable, ils auraient pu prendre de bonnes vacances, aller chacun au bout de leurs projets respectifs et se retrouver quelques années plus tard…
Quel est le passage de l’ouvrage qui vous a interpellé ?
Il y en beaucoup ! Celui quand George Harrison quitte le groupe et que les autres discutent de la suite à donner. Continuer à trois ? Faire venir Eric Clapton ? Certains connaissaient cette anecdote, pas en ce qui me concerne, je l’ai apprise. Ou les délires au sujet de la recherche d’un lieu original comme un navire de croisière, un amphithéâtre romain en Libye ou encore un musée. Il y en a même un qui suggère que le groupe devrait jouer à poil ou que le public devrait carrément débarquer à poil, c’est étonnant ! C’est difficile de savoir où se situe la frontière entre le réalisme, même loufoque, et le pur délire. Mais il y a deux choses qui m’ont touché et qui colorent l’histoire de Let It Be d’une manière que l’on ignorait un peu. La première est un échange extrêmement sensible entre John et Paul au sujet des blessures de George en reconnaissant qu’il y a des cicatrices qui ne se sont pas refermées et qu’il est difficile de rattraper tout ça. Nous les sentons très préoccupés par cette situation. Et puis l’instant où Paul parle avec l’équipe du tournage de la relation entre John et Yoko, cette dernière étant toujours à ses côtés. On sent un Paul très humain qui essaye de faire la part des choses et de s’accommoder de cette présence sans vouloir blesser son ami, c’est très touchant.
Et malgré cette présence féminine dans le groupe qui pose question chez Paul McCartney, le groupe va écrire ses plus belles chansons…
C’est vrai…Mais ce sont des chansons qu’ils ont écrites chacun séparément et présentées au groupe. Get Back qui est un titre de Paul McCartney en est le meilleur exemple. John suggère d’autres paroles à Paul, il y a un jeu de ping-pong entre eux, mais on ne peut pas dire que la présence de Yoko ait influencé leur inspiration et leur créativité. Et puis je trouve que Paul n’est pas complètement négatif envers Yoko. Elle est présente aux réunions, Paul est intéressé par certaines suggestions qu’elle peut faire, il l’écoute respectueusement. La seule chose qui le gêne et qui ne figure pas dans l’ouvrage, ce serait qu’elle participe à l’élaboration des chansons, là ce serait difficile à accepter. Et en même temps on découvre une improvisation où Paul est à la batterie, je crois, et Yoko qui chante ! Donc il n’y a pas de traces d’un rejet de Paul vis à vis d’elle.
"Je me souviens d’avoir vu le film au cinéma à sa sortie avec ma marraine, et ça m’avait ébloui de voir les Beatles jouer ensemble alors que tout était fini !"
Michka Assayas
On y découvre de superbes photos d’Ethan A.Russel et Linda (Eastman) McCartney, en avez-vous une que vous préférez ?
Oui, j’aime bien celles avec Heather, la fille de Linda, avec John Lennon dans les studios d’Apple. Il lui raconte des histoires de chat que l’on mange avec son côté très humour noir à dans le style du journal Hara-Kiri ! [Rires.] Et puis j’aime aussi les photos où nous les voyons en train de rire, il y en a beaucoup ! Et Hanif Kureishi le rappelle justement dans sa préface, ils sont toujours dans le jeu comme des enfants, ils ne travaillent pas, et dans le jeu tout est possible…
À la fin du concert sur le toit des studios Apple le 30 janvier 1969, John Lennon finit par cette phrase, qui est également la dernière de l’ouvrage : « J’aimerais dire merci de la part du groupe et de nous tous, et j’espère que nous avons passé l’audition. » Et vous, en tant qu'enfant assistant au concert, qu’auriez-vous dit à cet instant ?
À cette époque j’avais 11 ans, j’aurais été comme un gamin qui voit le Père Noël ! [Rires.] J’avais une sorte d’amour mystique pour les Beatles ! Pour moi, ils étaient des héros qui n’appartenaient pas à l’humanité normale, ils étaient des êtres supérieurs. [Rires.] Je me souviens d’avoir vu le film au cinéma à sa sortie avec ma marraine, et ça m’avait ébloui de voir les Beatles jouer ensemble alors que tout était fini ! Il ne faut pas oublier qu’à l’époque il n’existait que deux chaînes de télévision en noir et blanc en France, et qu’on ne voyait jamais de musiciens jouer, sauf en de rares occasions dans des émissions qui passaient très tard le soir. Il y a quelque chose de fantasmatique comme un mythe perdu. Jouer sur un toit, c’est génial ! Ils débarquent sans prévenir, on entend de la musique dans la rue, ils dérangent la vie bien réglée des gens dans les bureaux aux alentours, cela déchire le réel ! C’est une éruption magique dans le quotidien. On retrouve très bien cet aboutissement dans l’ouvrage, sans trop savoir si le concert va se faire ou non.
Une question à laquelle vous auriez aimé répondre et que je ne vous ai pas posée ?
Ahhhh [Rires.] Est-ce que je suis satisfait de mon travail de traduction ? Je vous aurais dit que mon ambition a été de rendre cela aussi fluide que possible et d’être agréable à lire, j’espère que j’y suis parvenu.
Propos recueillis le 03/11/2021
Et pour aller plus loin :
L'interview du "Tac au Tac" de Michka Assayas sur Humanvibes
On ne se lasse pas de voir et revoir un extrait du dernier concert des Beatles sur le toit de l'immeuble d'Apple Corps au 3 Savile Row à Londres.
The Beatles (2015) – Don't Let Me Down – YouTube
Pour les amateurs du groupe, un beau cadeau à se faire soi-même ou à offrir.
The Beatles (2021) – Let It Be spécial éditions – YouTube
L'histoire des Beatles en 8 minutes pour celles et ceux qui ne la connaitraient pas encore…
WatchMojo (2012) – L'histoire des Beatles – YouTube
Marc / Humanvibes
Publié le 19/11/2021